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XÉNOPHON, LIV. V.

bruit à ces mots. Tous les soldats crièrent qu’il avait raison ; un autre Grec parla et fut du même avis : tout ce qui était présent formait le même vœu. Chirisophe se leva ensuite et dit : « Grecs, je suis ami d’Anaxibius, et c’est heureusement lui qui commande maintenant les forces navales des Lacédémoniens. Si vous me députez vers lui, je reviendrai, je l’espère, avec les galères et les bâtimens de transport nécessaires pour vous embarquer. Puisque vous voulez continuer votre route par mer, attendez mon retour, que j’accélérerai, et qui ne peut tarder. » Ces paroles comblèrent de joie le soldat, et il fut arrêté que Chirisophe mettrait à la voile le plus tôt qu’il pourrait.

Après lui Xénophonse leva et tint ce discours : « Nous envoyons Chirisophe nous chercher une flotte, et nous l’attendrons ici. Je vais donc vous parler de ce qu’il me paraît important de prévoir pour notre séjour. D’abord il faut nous fournir de vivres dans le pays ennemi ; car le marché ne suffit pas à nos besoins. Peu de Grecs ont de l’argent pour y acheter le nécessaire, et nous sommes en guerre avec les peuples de la contrée qui nous environne ; il est à craindre que si nous y allons prendre des vivres sans précaution, nous ne perdions beaucoup de soldats. C’est donc par des excursions en force, si vous m’en croyez, que nous approvisionnerons notre camp ; mais que personne ne s’en écarte par d’autres motifs : votre salut en dépend. Chargez les généraux d’y veiller. » Cet avis fut adopté. « Écoutez encore ceci, ajouta Xénophon. Plusieurs de vous iront sans doute à cette maraude. Je pense qu’il faudrait que celui qui aura le projet de sortir du camp en prévînt les généraux et indiquât où il va : nous saurons ainsi ce qu’il y aura de soldats absens et ce qui restera au drapeau. Nous préparerons tout pour les cas urgens ; dès le moment où quelques-uns de vous auront besoin de secours, nous saurons où il faudra leur en porter. Si des Grecs peu sensés et sans expérience méditent une entreprise, nous les aiderons de nos conseils et nous tâcherons de savoir à quelles forces ils doivent avoir affaire. » On approuva et on arrêta ce que proposait Xénophon. « Faites encore une réflexion, dit ce général, l’ennemi a le loisir de songer à nous piller aussi, et c’est avec justice qu’il nous tend des embûches ; car nous nous sommes approprié ses biens. Il est posté sur les hauteurs qui nous dominent ; je crois donc qu’il faut que l’armée soit entourée de grandes gardes. Détachés par piquets tour-à-tour, faisons bonne garde et observons l’ennemi ; les Barbares auront moins de facilité à nous surprendre. Voici une considération importante encore. Si nous pouvions compter certainement sur le retour de Chirisophe avec une flotte capable de transporter toute l’armée, ce que je vais vous dire serait inutile ; mais dans le doute où nous sommes, je voudrais tâcher de nous pourvoir ici même de batimens. Si lorsque ce général reviendra nous nous trouvons en avoir déjà un assez grand nombre, l’abondance ne nuit pas, et nous en naviguerons plus à notre aise ; mais si Chirisophe n’en ramenait point, ceux que nous aurons rassemblés ici seront notre ressource. Je vois souvent des navires longer cette côte : empruntons aux habitans de Trébizonde de longs bateaux ; nous nous en servirons à ramener ici les vaisseaux qui passeront ; nous les garderons et leur ôterons le gouvernail. Nous en userons ainsi jusqu’à ce que nous en ayons rassemblé ce qu’il