Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/538

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
537
XÉNOPHON, LIV. V.

de Grecs armés de piques, qui étaient sortis du camp pour aller prendre des vivres, les avaient suivis, en sorte qu’il y avait plus de deux mille hommes au-delà du ravin. Après avoir combattu et avoir été repoussés (car la ville était encore entourée d’un large fossé, dont le revers était palissadé et flanqué d’un grand nombre de tours de bois), après ces vains efforts, dis-je, les Grecs tâchèrent de se retirer ; mais dès qu’ils y songeaient, les Barbares fondaient sur eux ; il était donc impossible de revenir sur ses pas, d’autant que du lieu où l’on était on ne pouvait descendre qu’un à un dans le ravin. Les Grecs en font instruire Xénophon qui marchait à la tête des hoplites ; leur député annonce à ce général qu’il y a un grand butin à faire dans la place et qu’elle regorge de richesses. « Nous ne saurions l’emporter de vive force, car elle est fortifiée ; il n’est pas aisé non plus de nous retirer en bon ordre : l’ennemi fait sur nous des sorties vigoureuses, et le terrain ajoute aux difficultés de notre retraite. »

Xénophon ayant entendu ce rapport, mena l’infanterie jusqu’au bord du ravin, et y fit poser en ordre les armes à terre. Lui seul avec les chefs de lochos le traversa et examina s’il valait mieux faire retirer les Grecs qui avaient passé le ravin, ou faire avancer aussi au-delà toute l’infanterie pour tenter de prendre la place d’emblée. Il paraissait impossible de faire une retraite qui ne coûtât beaucoup d’hommes, et les chefs de lochos pensaient qu’on pouvait se rendre maître de la ville. Xénophon se rendit à leur avis et se confia aux indices donnés par les Dieux : car les devins avaient déclaré qu’on combattrait, mais que la fin de l’entreprise serait heureuse. Le général renvoie les chefs pour faire passer le ravin aux hoplites. Lui-même reste, sépare les armés à la légère qui étaient mêlés, leur fait reprendre leurs rangs, et ne les laisse provoquer l’ennemi par aucune escarmouche. Quand les hoplites furent arrivés, il ordonna que chaque chef formât son lochos sur l’ordre où il croirait que le soldat combattrait le plus avantageusement : comme ils étaient près l’un de l’autre, il attendait d’eux cette rivalité de courage qu’ils avaient montrée à l’envi dans toutes les occasions. Les chefs exécutèrent l’ordre qu’on leur avait donné. Xénophon prescrivit aux armés à la légère de s’avancer le javelot à la main, et aux archers la flèche posée sur l’arc, pour les lancer sur l’ennemi dès qu’on donnerait le signal ; il recommanda aux uns et aux autres de remplir de pierres leurs havre-sacs, et chargea des hommes vigilans d’y tenir la main. Après ces préparatifs, les chefs de lochos, les pentecontarques et les simples soldats qui ne s’estimaient pas moins qu’eux, se trouvèrent rangés en bataille et se voyaient les uns les autres ; car par la nature du lieu on apercevait d’un coup-d’œil toute la ligne. Quand on eut chanté le péan et que la trompette eut donné le signal, on jeta les cris ordinaires du combat, et aussitôt les hoplites coururent sur l’ennemi ; on décocha en même temps les traits de toute espèce, javelots, flèches, pierres, les unes lancées avec la fronde, les autres en plus grand nombre jetées à la main : il y avait même des Grecs qui portaient du feu. La grande quantité des traits fit retirer l’ennemi de la palissade et des tours. Agasias de Stymphale et Philoxène de Pélène, ayant posé leurs armes à terre, montèrent en simple tunique. Un Grec tendit la main à un autre et le tira ; un troisième monta tout seul, et la place paraissait prise. Toutes les troupes légères y coururent et pillèrent ce qu’elles purent. Xénophon se tenant à la porte empêchait, autant qu’il le pou-