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XÉNOPHON, LIV. V.

ponse, prièrent l’armée d’envoyer des députes à Sinope ; elle y députa Callimaque Arcadien, Ariston d’Athènes, et Samolas Achéen, qui partirent aussitôt.

Pendant leur absence, Xénophon voyant cette multitude d’hoplites, de peltastes, d’archers, de frondeurs et de cavaliers, tous exercés long-temps au métier des armes, et devenus d’excellentes troupes, les voyant, dis-je, sur les bords du-Pont-Euxin, où l’on ne pourrait qu’avec des frais énormes rassembler de telles forces, songea qu’il serait glorieux d’y fonder une ville et d’y augmenter et la puissance et les possessions des Grecs. Le nombre des troupes et celui des peuples qui habitent le long des rivages de cette mer lui faisaient conjecturer que cette colonie deviendrait considérable. Avant de s’en ouvrir à qui que ce fût de l’armée, Xénophon fit appeler Silanus d’Ambracie, qui avait été devin de Cyrus, et sacrifia pour consulter les Dieux sur ce projet. Silanus en redoutant le succès, et craignant qu’on n’arrêtât dans ce pays l’armée, y répandit le bruit que Xénophon voulait fixer les Grecs dans les environs, y bâtir une ville et s’acquérir par-là à lui-même et une grande réputation et une grande puissance ; car ce devin n’aspirait qu’à retourner au plus en tôt en Grèce. Il avait conservé les trois mille dariques qu’il avait reçues de Cyrus lorsqu’il lui eut annoncé, en observant les victimes, qu’on ne combattrait pas de dix jours, et que l’événement eut confirmé sa prédiction. Des soldats à qui ces propos revinrent, quelques-uns trouvaient plus avantageux de rester dans le pays, mais la plupart étaient d’un avis contraire. Timasion Dardanien et Thorax de Béotie dirent à certains négocians d’Héraclée et de Sinope qui se trouvèrent près de l’armée que si l’on ne donnait pas aux Grecs une solde afin qu’ils puissent se fournir de vivres pour le temps de leur navigation, on courait grand risque de fixer sur les bords de l’Euxin des troupes aussi nombreuses et aussi aguerries. « Car voici les discours que Xénophon nous exhorte à tenir à l’armée, et il les tiendra lui-même tout aussitôt que les bâtimens que nous attendons seront arrivés. Soldats, nous vous voyons dans la détresse ; vous n’avez ni de quoi acheter le nécessaire pour le temps où vous serez en mer, ni de quoi enrichir votre famille à votre retour. Si vous vouliez choisir un des pays situés autour de l’Euxin, vous l’envahiriez aisément. On permettrait alors à ceux qui voudraient retourner dans leur patrie de partir ; ceux qui préféreraient de fixer leur séjour dans cette nouvelle conquête en seraient les maîtres. Vous avez des vaisseaux et pouvez vous porter subitement ou vous voudrez. »

Les négocians, frappés de ce qu’on leur annonçait, le rapportèrent aux villes qu’ils habitaient. Timasion y envoya avec eux Érymaque Dardanien et Thorax de Béotie pour y parler sur le même ton. Les Sinopéens et les habitans d’Héraclée, dès qu’ils l’ont appris, envoient à Timasion, lui font dire qu’ils lui donneront l’argent nécessaire, qu’il gagne l’armée et l’engage à mettre à la voile et à sortir du Pont-Euxin. Timasion reçut avec plaisir cette nouvelle, et à l’assemblée des soldats il parla en ces termes : « Soldats, il ne faut point songer à nous fixer ici ; nous ne devons avoir rien de plus cher que la Grèce. J’entends dire qu’il est parmi nous des Grecs qui, sans nous le communiquer, ont sacrifié et consulté les Dieux sur un établissement que je réprouve ; si vous voulez mettre à la voile au commencement du mois prochain pour abandonner l’Euxin, je m’engage à faire payer à

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