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XÉNOPHON, LIV. V.

chacun de vous une solde qui sera d’un cyzicène par mois. Je vous mènerai dans la Troade, d’où je suis maintenant banni ; vous y aurez ma patrie pour alliée, et je sais qu’elle me recevra avec plaisir. Je vous conduirai ensuite où vous ferez beaucoup de butin, car l’Éolie, la Phrygie, la Troade, le gouvernement entier de Pharnabaze, tous ces pays me sont parfaitement connus, les uns parce que j’en suis originaire, les autres parce que j’y ai fait la guerre avec Cléarque et Dercylidas. »

Thorax de Béotie se leva aussitôt ; c’était un rival qui enviait à Xénophon son rang de général, et qui tâchait sans cesse de le lui enlever. Il dit aux Grecs qu’à la sortie du Pont-Euxin ils trouveraient la Chersonèse, contrée belle et opulente, que ceux qui voudraient s’y fixer le pourraient ; qu’il serait loisible à ceux qui préféreraient leur patrie d’y retourner ; qu’il était ridicule de chercher un établissement parmi les Barbares, tandis qu’il restait tant de pays fertiles à occuper au sein de la Grèce. « Jusqu’à ce que vous y soyez parvenus, ajouta-t-il, je vous réponds de la solde que vous a fait espérer Timasion. » Il parlait ainsi parce qu’il savait ce que les villes de Sinope et d’Héraclée avaient promis à ce Grec pour engager l’armée à s’embarquer et à passer le Bosphore. Xénophon cependant gardait un profond silence. Philésius et Lycon, Achéens tous deux, se levèrent et dirent que c’était un crime grave à ce général de solliciter séparément les Grecs à demeurer dans ces contrées ; d’avoir été jusqu’à consulter les Dieux par des sacrifices à l’insu de l’armée ; et de ne pas ouvrir la bouche lorsqu’on délibérait en commun sur ce même sujet. Ces accusations forcèrent Xénophon de se lever et de tenir ce discours :

« Soldats, vous me voyez faire le plus de sacrifices que je peux ; j’ai en vue votre prospérité et la mienne. Je tâche de dire, de penser, d’exécuter ce qui doit tourner le plus glorieusement et le plus avantageusement pour vous et pour moi. Je viens de sacrifier précisément pour savoir s’il valait mieux vous parler le premier de mon projet et travailler à l’exécuter, ou ne me mêler en rien de cette affaire. Silanus m’a répondu que les entrailles des victimes étaient belles : c’est le point le plus important. Il savait qu’il ne parlait pas à un homme sans expérience, parce que j’assiste toujours aux sacrifices. Il a ajouté qu’il lisait dans les entrailles qu’il se tramait contre moi des fourberies et des embûches, et il était bien sûr de la vérité de sa prédiction ; car il savait que lui-même tâchait de me calomnier près de vous. Il a semé le bruit que je voulais exécuter mes desseins sans vous les avoir fait approuver par la voie de la persuasion. Lorsque je vous ai vus dans la détresse, j’ai songé, j’en conviens, aux moyens de nous emparer d’une place d’où les Grecs qui voudraient retourner promptement dans leur patrie mettraient aussitôt à la voile, et où ceux qui aimeraient mieux différer leur retour resteraient jusqu’à ce qu’ils eussent acquis assez de richesses pour être utiles à leurs familles. Mais depuis que je vois les habitans de Sinope et d’Héraclée vous envoyer des bâtimens, depuis que je vois des hommes vous promettre une solde qui commencera à courir le premier du mois prochain, il me paraît avantageux de nous retirer sains et saufs où nous voulions arriver, et de recevoir en outre une solde pour prix de notre départ. Je me désiste donc de mes autres idées, et je déclare qu’il faut s’en désister à ceux