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XÉNOPHON, LIV. V.

glier ou sur un cerf qui paraîtrait tout-à-coup dans la plaine. Les Cérasuntiens voyant nos soldats se précipiter de leur côté, croient qu’on leur en veut, fuient tant qu’ils ont de forces, et se jettent dans la mer : quelques-uns des nôtres y tombent aussi, et tous ceux qui ne savaient pas nager se sont noyés. Que croyez-vous que pensassent alors les Cérasuntiens ? Ils n’avaient aucun tort à se reprocher, mais ils craignaient qu’une rage subite n’eût pris notre armée comme elle prend à des chiens, et considérez où vous en serez réduits si une telle indiscipline subsiste à l’avenir. Vous aurez beau vous assembler, vous n’aurez l’autorité ni de déclarer la guerre à qui vous voudrez, ni de la finir quand il vous conviendra ; un particulier entraînera l’armée aux entreprises qu’il aura seul adoptées. Si quelques députés viennent désormais vous demander la paix ou vous faire d’autres propositions, qui voudra les assassinera, et vous laissera ignorer à jamais les motifs qui les amenaient vers vous. Les généraux que vous vous êtes donnés vous-mêmes n’auront plus d’autorité. Quiconque s’élira lui même chef de séditieux et criera tue, tue, s’il trouve des compagnons qui lui prêtent la main, comme il vient d’arriver, aura le pouvoir de faire périr, sans forme de justice, tout général ou tout particulier qu’il aura proscrit. Considérez un peu les obligations que vous avez à ces chefs qui n’ont d’autre autorité que celle qu’ils se sont arrogée. Zélarque, commissaire des vivres, s’il est coupable envers nous, a mis à la voile et a disparu sans recevoir la peine due à son crime ; s’il est innocent, il fuit loin de l’armée, craignant d’être mis à mort injustement et de n’être point entendu. Grâces à ceux qui ont lapidé les députés, vous êtes les seuls des Grecs qui ne puissiez entrer avec sécurité dans les murs de Cérasunte si vous n’y arrivez en force. Les Barbares, qui avaient tué des nôtres, vous invitaient à venir librement leur donner la sépulture ; il résulte de ces attentats que vous ne pouvez plus y aller, même précédés d’un héraut. Et qui de vous, ayant donné l’exempte d’assassiner les hérauts, oserait s’avancer avec un caducée ? Nous y avons suppléé ; nous avons prié les habitans de Cérasunte d’inhumer ces infortunés. Si les faits que je viens de raconter sont louables, approuvez-les par un décret public : chacun s’attendant à les voir renouveler, se tiendra sur ses gardes et se baraquera dans un lieu fortifié. Jugez-vous au contraire que ce ne sont pas des traits d’hommes sociables, mais de bêtes féroces ; cherchez les moyens d’arrêter cette licence. Autrement, par Jupiter, comment les Dieux agréeront-ils nos sacrifices quand ils verront nos actions impies ? Comment combattrons-nous nos ennemis si nous nous égorgeons les uns les autres ? Quelle ville nous ouvrira ses portes et voudra être notre alliée, sachant qu’une telle indiscipline règne parmi nous ? Qui osera venir vendre des vivres à notre camp lorsqu’il sera public que les plus grands crimes n’ont rien qui nous arrête ? Si nous croyons avoir mérité quelque gloire, quelle bouche osera prononcer les louanges de scélérats tels que nous ? car je sais que nous donnerions nous-mêmes ce nom à qui aurait commis de semblables forfaits. »

Aussitôt tous les Grecs se levèrent, et dirent qu’il fallait sévir contre les auteurs d’une telle indiscipline, défendre qu’elle recommençât, et punir désormais de mort le premier qui contreviendrait à cette loi. On chargea les gé-