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XÉNOPHON, LIV. V.

néraux de livrer les coupables à la justice. On arrêta qu’on rechercherait toutes les fautes commises depuis la mort de Cyrus, et l’on en établit juges les chefs de lochos ; puis Xénophon fut d’avis, et tous les devins conseillèrent, qu’on purifiât l’armée. On l’ordonna, et cette cérémonie fut célébrée.

Il fut décidé aussi que les généraux seraient recherchés sur leur conduite précédente. Le compte rendu, Philésius et Xanticlès furent condamnés à restituer vingt mines qui manquaient à la somme qui leur avait été confiée, et qui était destinée au fret des bâtimens de transport ; Sophénète le fut à une amende de dix mines, pour avoir exercé négligemment les fonctions de général depuis qu’on lui avait conféré ce rang. Quelques soldats accusèrent ensuite Xénophon de les avoir frappés, et lui reprochèrent de les traiter avec hauteur et pétulance. Xénophon se leva, et somma le premier qui avait porté plainte contre lui de dire d’abord en quelle occasion il l’avait battu. Lorsque nous mourions de froid, répondit celui-ci, et que nous étions couverts de neige. Xénophon répliqua : « Si c’est par le froid excessif dont vous nous parlez, pendant la disette de vivres, tandis qu’il n’y avait pas une goutte de vin à l’armée, que nous étions accablés de fatigues et poursuivis par l’ennemi, si c’est, dis-je, dans de telles circonstances que j’en ai agi avec violence, je conviens que je suis plus vicieux que les ânes mêmes, dont la lassitude, dit-on, n’arrête pas la lubricité ; mais exposez le motif pour lequel je vous ai frappé. Vous demandais-je quelque chose ? Est-ce pour punir votre refus que j’ai levé la main sur vous ? S’agissait-il d’une restitution que j’exigeais ? Attribuez vous ma vivacité à la jalousie ou à l’ivresse ? » Le soldat convint que Xénophon n’avait été animé par aucun de ces motif. Ce général demanda au Grec s’il était alors dans les rangs des hoplites. « Non, reprit-il. — Faisiez-vous votre service parmi les armés à la légère ? — Non, répartit l’accusateur ; quoique homme libre, je conduisais un mulet ; mes camarades de chambrée m’en avaient confié le soin. » Xénophon reconnut alors son homme. « N’êtes-vous pas, lui demanda-t-il, celui qui transportiez un malade ? — Oui, par Jupiter, répliqua le Grec ; mais vous m’y aviez forcé, et aviez jeté par terre le bagage de mes compagnons. — Voici comment je l’ai jeté par terre, reprit Xénophon : j’en ai chargé d’autres soldats ; je leur ai ordonné de me remettre ce dépôt, et je vous ai tout rendu, sans qu’il y eût rien d’égaré, lorsque vous m’avez représenté l’homme que je vous avais confié. Écoutez tous comment cette affaire s’est passée ; ceci vaut la peine d’être entendu :

On laissait en arrière un de nos compatriotes, parce qu’il ne pouvait plus marcher ; je ne le connaissais point particulièrement : tout ce que j’en savais, c’est qu’il était de notre armée. Je vous ai contraint de le porter de peur qu’il ne pérît ; car les ennemis nous poursuivaient, autant que je puis m’en souvenir. » L’accusateur convint de ces faits. « Je vous avais dit de gagner les devans, poursuivit Xénophon ; je marchais moi-même à l’arrière-garde. Je vous retrouve creusant une fosse pour enterrer l’homme dont je vous avais chargé ; je m’arrêtai et vous louai de lui rendre les derniers devoirs ; mais en présence de nous, le prétendu mort ploya la jambe : tout ce qu’il y avait de témoins cria qu’il était encore en vie. Eh bien, répondîtes-vous, qu’il vive tant qu’il voudra ; pour moi je ne l’emporterai