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XÉNOPHON, LIV. VI.

publier par un héraut que ceux qui voudraient en aller chercher se présentassent, et qu’il y marcherait à leur tête : près de deux mille hommes armés de javelots, portant des outres, des sacs et toutes sortes d’espèces de vases, sortirent du camp ; lorsqu’ils furent entrés dans les villages et se furent dispersés pour piller, la cavalerie de Pharnabaze tomba d’abord sur eux ; elle était venue au secours des Bithyniens, dans le dessein de concourir avec ce peuple, pour empêcher, s’il était possible, les Grecs de pénétrer en Phrygie : cette cavalerie passa au fil de l’épée au moins cinq cents Grecs ; le reste se réfugia sur la montagne.

Un des fuyards rapporta au camp la nouvelle de cette déroute. Xénophon, comme les sacrifices ce jour-là même n’avaient rien annoncé d’heureux, prit un bœuf d’attelage (car on n’avait point d’autre victime), l’immola, et marcha au secours des Grecs, avec tous les soldats âgés de moins de cinquante ans ; ils sauvèrent ceux de leurs compagnons qui n’avaient point péri, et revinrent au camp avec eux. Déjà s’approchait l’heure du coucher du soleil, et les Grecs, fort découragés, s’étaient mis à souper. Tout-à-coup quelques Bithyniens, ayant traversé des bois fourrés, tombèrent sur les gardes avancées, tuèrent plusieurs hommes, et poursuivirent les autres jusqu’au camp. Un grand cri s’éleva ; tous les Grecs coururent aux armes ; il parut dangereux de poursuivre l’ennemi et de changer la position du camp pendant la nuit ; car le pays était couvert. Toute l’armée resta jusqu’au lendemain matin sous les armes, après avoir posé de nouvelles grandes gardes assez fortes pour résister, si elles eussent été attaquées.

On passa ainsi la nuit. Le lendemain, dès la pointe du jour, les généraux menèrent l’armée dans le poste presque inattaquable de Calpé ; le soldat prit ses armes, ses équipages, et suivit ses chefs. Avant l’heure du dîner, le défilé, qui est l’unique entrée de ce lieu, était retranché par un fossé qu’on avait creusé, et dont on avait palissadé le revers ; on n’avait laissé pour tout accès que trois portes. Il arriva alors d’Héraclée un bâtiment chargé de farine d’orge, de bestiaux et de vin. Xénophon, qui s’était levé de grand matin, sacrifia, pour obtenir des Dieux la permission de sortir du camp, et de marcher à l’ennemi : dès la première victime, on trouva des signes favorables ; à la fin du sacrifice, le devin Arexion de Parrhasie aperçoit un aigle dont le vol était d’un augure heureux, et dit à Xénophon de se mettre à la tête de l’armée et de la faire marcher. Après avoir passé le fossé, on posa les armes à terre, et on fit publier par un héraut que les soldats, dès qu’ils auraient dîné, sortissent armés ; mais qu’ils laissassent derrière le retranchement les esclaves, et tout ce qui ne portait point d’armes ; tout sortit donc, excepté Néon, à qui l’on confia la garde du camp, comme poste honorable ; mais les chefs de lochos et les soldats le quittaient ; ils eussent rougi de ne point suivre l’armée qui marchait au combat. Néon ne laissa donc aux équipages que les soldats âgés de plus de quarante-cinq ans ; ceux-là seuls y demeurèrent, le reste marcha. Avant d’avoir fait quinze stades, on trouva des morts ; et ayant couvert les premiers cadavres qu’on aperçut d’une aile de la ligne, on enterra tout ce qui se trouva derrière ; après avoir enseveli ceux-là, on marcha en avant ; puis on répéta la même manœuvre ; dès que la ligne avait dépassé d’autres morts qui n’étaient pas inhumés, on leur donnait la sépulture, et on ensevelit ainsi tous ceux qu’on fit