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XÉNOPHON, LIV. VII.

vrent les battans, et l’armée se précipite dans la ville.

Dès que Xénophon s’aperçut de ce qui arrivait, il craignit que les Grecs ne s’abandonnassent au pillage et qu’il n’en résultat un malheur irréparable pour la ville, pour lui-même et pour l’armée ; il courut et entra dans la place avec la foule des soldats. Les citoyens voient les troupes pénétrer par violence dans l’enceinte de leurs murs ; ils fuient des places publiques ; les uns se retirent dans leurs maisons, les autres sur des navires ; ceux au contraire des habitans qui se trouvaient chez eux en sortent avec terreur ; il y en avait qui lançaient des galères à la mer pour se sauver ; tous se croyaient perdus, comme si la ville eût été prise d’assaut. Etéonique se réfugie dans la citadelle ; Anaxibius court à la mer, saute dans un bateau de pêcheur, suit la côte et vient aborder à la citadelle ; il envoie aussitôt chercher un détachement de la garnison de Chalcédoine ; car il ne croyait pas que celle qui était dans la forteresse avec lui fût suffisante pour arrêter l’impétuosité des Grecs.

Les soldats aperçoivent Xénophon au milieu d’eux ; ils se précipitent en foule sur lui et lui crient : « C’est actuellement, Xénophon, qu’il faut vous montrer un homme ; voilà une place, voilà des galères, voilà des richesses, voilà des troupes nombreuses à votre disposition ; vous pourriez maintenant nous faire du bien si vous le vouliez, et nous ferions de vous un homme puissant. — J’approuve ce que vous dites, répondit Xénophon, et je me conduirai en conséquence. Puisque tels sont vos désirs, rangez-vous au plus tôt en bataille et posez ainsi vos armes à terre. » Il leur parlait sur ce ton pour les apaiser ; il exhorta les autres généraux à leur tenir de semblables propos et à leur faire mettre bas les armes. Les Grecs se formèrent d’eux-mêmes. En peu de temps les hoplites furent sur cinquante de hauteur ; les armés à la légère coururent se ranger sur les deux ailes. La place où ils se trouvaient est très commode pour y mettre des troupes en bataille : on l’appelle la place des Thraces ; elle est unie et dégagée de maisons. Quand les armes furent posées à terre et que la première chaleur du soldat fut un peu tombée, Xénophon convoqua l’armée et parla en ces termes :

« Je ne m’étonne, soldats, ni de vôtre colère, ni de l’opinion où vous êtes qu’on vous a cruellement trompés ; mais si nous suivons ces mouvemens de fureur, si nous punissons de leur fourberie les Lacédémoniens qui sont entre nos mains, et une ville qui n’en est nullement complice, songez aux suites qu’auront vos ressentimens. Vous serez ennemis déclarés de Sparte, et il est aisé de prévoir dans quelle guerre vous vous engagez en jetant les yeux sur les événemens encore récens et en les rappelant à votre mémoire. Nous autres Athéniens, lorsque nous avons commencé la guerre contre ces mêmes Lacédémoniens et contre les villes de leur parti, nous avions au moins quatre cents galères, soit en mer, soit dans nos chantiers ; notre ville regorgeait de richesses ; nous tirions un revenu annuel de mille talens pour le moins de l’Attique ou des pays situés hors de nos frontières ; notre empire s’étendait sur toutes les îles ; il comprenait nombre de villes en Asie, beaucoup d’autres en Europe, et cette même Byzance où vous vous trouvez maintenant était alors sous nos lois. Nous n’en avons pas moins succombé, et vous le savez tous. Que croyez-vous qu’il nous arrive aujour-