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LA CYROPÉDIE, LIV. III.

aux travaux de l’agriculture. Ils n’ont d’autre occupation que de piller, et de se mettre tantôt à la solde du roi des Indes, car il possède de grands trésors, tantôt aussi à la solde d’Astyage. « Que ne viennent-ils avec nous, dit Cyrus ? ils n’auront eu nulle part une plus forte paie. » Tous répondirent qu’oui, qu’il s’en trouverait beaucoup d’empressés à le servir. Voilà ce qui fut arrêté de part et d’autre. Cyrus, en apprenant que les Chaldéens avaient de fréquentes relations avec le roi de l’Inde, et se rappelant que ce prince avait envoyé en Médie des ambassadeurs, qui étaient allés ensuite en Assyrie pour examiner l’état de ces deux royaumes, résolut d’instruire lui-même le monarque indien de ce qu’il venait de faire. « Roi d’Arménie, dit-il, et vous Chaldéens, si j’envoyais un ambassadeur au roi de l’Inde, voudriez-vous lui associer quelques-uns de vos sujets, qui pussent lui servir de guides, et agir de concert pour faciliter ma négociation auprès de ce monarque ? Je désirerais être plus riche que je ne suis, afin de pouvoir donner une bonne paie aux soldats qui la méritent, et récompenser honorablement ceux qui se distinguent. Je voudrais me voir dans la plus grande opulence ; et j’en sens le besoin. J’aimerais pourtant à ménager vos fonds, car je vous regarde comme mes amis : mais je recevrais volontiers des secours du monarque indien, s’il consentait à m’en fournir. L’ambassadeur à qui je vous propose de joindre de vos gens pour le guider dans sa route, et le seconder dans sa négociation, dira de ma part à ce prince, en l’abordant : Roi des Indes, Cyrus me dépêche vers toi pour te représenter que l’argent lui manque. Il attend une nouvelle armée qui lui arrive de Perse (je l’attends en effet). Il te mande que si tu lui envoies selon ton pouvoir, et que les Dieux secondent ses projets, il se conduira envers toi de sorte que tu croiras avoir travaillé pour tes propres intérêts en l’obligeant. Voilà ce que dira mon ambassadeur ; chargez les vôtres des instructions que vous jugerez les plus utiles. Si nous réussissons, nous en serons plus à notre aise : si ce roi nous refuse, comme alors nous ne lui avons aucune obligation, nous pourrons prendre à son égard le parti le plus avantageux pour nous. » Cyrus tenait ce discours, dans l’espérance que les ambassadeurs arméniens et chaldéens parleraient de lui chez les Indiens, comme il souhaitait qu’on en parlât dans tout l’univers. La conversation épuisée, on sortit de la tente ; et chacun alla se reposer.

Chap. 3. Le lendemain, Cyrus fit partir son ambassadeur, avec les instructions nécessaires. Le roi d’Arménie et les Chaldéens députèrent ceux qu’ils crurent les plus propres à le seconder, et à donner de Cyrus l’idée qu’on en devait avoir. Bientôt après, la forteresse se trouva pourvue de munitions, et de soldats ; il en donna le commandement à celui des Mèdes dont il croyait le choix le plus agréable à Cyaxare ; puis il descendit des montagnes, suivi des troupes qu’il avait amenées de Médie, de celles du roi d’Arménie, et d’un corps d’environ quatre mille Chaldéens, qui s’estimaient les meilleurs guerriers de l’armée. Quand il eut gagné les lieux habités, il n’y eut personne dans l’Arménie qui ne sortît de sa maison : hommes, femmes, tous accouraient au-devant de lui, se réjouissant de la paix, apportant, amenant ce qu’ils avaient de plus précieux à lui offrir. Le roi d’Arménie ne fut point blessé de cet empressement général à rendre hommage à Cyrus, qu’il jugeait en devoir être flatté. La reine elle-même accourut avec ses filles et le plus jeune de ses fils : elle appor-