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XÉNOPHON.

Cyrus donna pour mot de ralliement, Jupiter auxiliaire et conducteur. Lorsque le mot, après avoir passé de bouche en bouche, lui fut revenu, il entonna, suivant l’usage, une hymne, que les soldats continuèrent, chantant de toute leur voix, avec un respect religieux. Dans ces occasions, celui qui craint les Dieux, redoute moins les hommes. L’hymne achevé, les homotimes recommencent à marcher d’un pas égal et dans le meilleur ordre, se regardant l’un l’autre, appelant par leur nom ceux qui sont à côté d’eux et derrière, répétant sans cesse, allons, amis, allons, avançons braves camarades. Les derniers rangs, répondant aux cris des premiers, les exhortent à leur tour, les pressent de les mener vigoureusement. On ne voit dans l’armée de Cyrus qu’ardeur, amour de la gloire, confiance, zèle à s’encourager réciproquement, prudence, discipline : dispositions désespérantes pour les ennemis.

Quant aux Assyriens, ceux qui devaient engager le combat montés sur des chars, sautèrent dessus à l’approche des Perses, et se replièrent sur le gros de leur armée. Les archers, les acontistes et les frondeurs firent une décharge, mais de trop loin. Cependant les Perses avançaient, et foulaient aux pieds les flèches des Assyriens. Alors Cyrus s’écrie : « Vaillans guerriers, que quelqu’un d’entre vous double le pas, et que son exemple devienne un signal pour les autres. » À ces mots, répétés dans un instant, plusieurs, emportés par leur courage et par le désir d’en venir aux mains, commencent à courir ; ils sont suivis du reste de l’armée : Cyrus lui-même, cessant de marcher au pas, est bientôt à leur tête ; il les précède en criant : « Qui me suit ? où est le brave qui le premier renversera un ennemi ? » Ceux qui l’entendent, répondent par le même cri ; tous ont bientôt répété avec lui : « Qui me suit ? où sont les braves ? » Telle fut l’impétuosité avec laquelle les troupes perses volèrent au combat. Mais les ennemis, loin de les attendre, prirent la fuite ; et se retirèrent dans leurs retranchemens. Tandis qu’ils se poussaient à l’entrée, les Perses qui les avaient poursuivis, en firent un grand carnage ; puis fondant sur ceux qui tombaient dans le fossé, ils tuèrent indistinctement et les hommes et les chevaux des chars qu’on y avait entraînés et précipités dans le désordre de la fuite. La cavalerie mède voyant cette déroute, chargea celle des ennemis ; mais ceux-ci s’enfuirent encore à toute bride : la poursuite fut vive, il se fit un grand carnage d’hommes et de chevaux. Ceux des Assyriens postés en dedans des retranchemens, sur la crête du fossé, étaient si épouvantés du spectacle qui s’offrait à leurs yeux, qu’ils n’avaient ni la force ni la pensée de se servir de leurs flèches et de leurs dards, contre ceux qui massacraient leurs camarades : s’étant même aperçus que quelques Perses avaient forcé l’entrée du camp, ils abandonnèrent la crête du fossé et s’enfuirent.

Les femmes des Assyriens et de leurs alliés, voyant que la déroute était générale, même dans le camp, faisaient retentir l’air de leurs cris ; elles couraient çà et là tout éperdues, les mères portant leurs enfans dans leurs bras, les plus jeunes arrachant leurs habits, se déchirant le visage, conjurant ceux qu’elles rencontraient de ne point les abandonner, de combattre pour leurs femmes, leurs enfans, pour leur propre vie. Dans ce moment, les rois alliés, avec leurs meilleurs soldats, postés à l’entrée du camp, et montés sur le lieu le plus élevé des retranchemens, combattaient en personne et ranimaient le