Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/672

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
671
LA CYROPÉDIE, LIV. IV.

de l’homme pour raisonner, avec des mains pour agir, avec la vitesse et la force du cheval pour atteindre ce qui fuyait, et terrasser ce qui résistait. En devenant cavalier, je réunirai tous ces avantages ; je me servirai de mon âme pour prévoir, de mes mains pour porter des armes, de la vitesse du cheval pour courir, de sa force pour renverser ce qui me résistera. D’ailleurs, je ne formerai pas, comme les hippocentaures, un même corps avec mon cheval ; ce qui vaut mieux que d’y être attaché par un lien naturel et indissoluble. Je m’imagine que de tels êtres ne devaient ni user de certaines commodités inventées par les hommes, ni jouir de certains plaisirs que la nature accorde aux chevaux. Pour moi, quand je serai cavalier, je ferai, à cheval, ce que faisaient les hippocentaures ; mais je pourrai, étant à pied, manger, me vêtir, me coucher, comme les autres hommes, de sorte que je serai un hippocentaure dont les parties peuvent être séparées ou rejointes à volonté. J’aurai encore cet avantage sur l’hippocentaure, qu’il n’avait que deux yeux pour observer, et deux oreilles pour entendre ; au lieu que moi j’aurai quatre yeux et quatre oreilles. J’ai ouï dire, en effet, que le cheval voit et entend des choses avant son cavalier, et qu’il l’en avertit. Inscrivez-moi donc au-nombre de ceux qui désirent devenir cavaliers. » — Et nous aussi, s’écrièrent les autres capitaines. — Puisque tel est, reprit Cyrus, le vœu général, pourquoi ne pas déclarer par une loi, que ce sera désormais un déshonneur pour tout Perse à qui j’aurai fourni un cheval, d’être rencontré à pied, quelque peu de chemin qu’il ait à faire, afin qu’on nous prenne pour de vrais hippocentaures ? Tous accueillirent la proposition : de là l’usage qui s’observe encore chez les Perses, que les plus distingués de la nation ne soient jamais vus marchant à pied, à moins qu’ils n’y soient contraints. Voilà ce qui se passa dans l’assemblée.

Chap. 4. Peu après le milieu du jour, les cavaliers mèdes et hyrcaniens revinrent, amenant avec eux des chevaux et quelques prisonniers : ils avaient laissé la vie à ceux qui avaient rendu les armes. Le premier soin de Cyrus, à leur arrivée, fut de s’informer si personne d’entre eux n’était blessé. « Non, Seigneur, répondirent-ils. » Il leur demanda ce qu’ils avaient fait : ils lui en rendirent compte, en vantant chacune de leurs actions. Cyrus les écoutait avec plaisir, et leur répondit par ce mot d’éloge : « On voit que vous vous êtes comportés en braves gens, car vous avez l’air plus grand, plus noble et plus fier qu’auparavant. » Ensuite il les questionna sur le chemin qu’ils avaient fait, et sur la population du pays. Ils lui dirent qu’ils en avaient parcouru une grande étendue ; qu’il était très peuplé, rempli de brebis, de chèvres, de bœufs, de chevaux, de blé et de denrées de toute espèce. « Nous avons donc, reprit Cyrus, deux choses à faire, subjuguer les possesseurs de tous ces biens, et les obliger à rester chez eux : un pays peuplé est une possession de grand prix ; il perd toute sa valeur s’il est abandonné de ses habitans. Vous avez tué, je le sais, ceux des ennemis qui ont tente de se défendre : vous avez bien fait ; c’est le moyen d’assurer la victoire. Vous avez pris ceux qui ont mis bas les armes : mais je crois qu’il nous serait avantageux de les relâcher. Par là, nous nous délivrerons du soin de nous garder d’eux, de les garder eux-mêmes, de les nourrir, notre intention n’étant pas de les faire mourir de faim : en les renvoyant, nous