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XÉNOPHON.

augmenterons le nombre des prisonniers ; car si nous nous emparons du pays, tous les habitans seront à nous ; et quand ils verront que nous avons donné la vie et la liberté à leurs camarades, ils aimeront mieux rester et obéir que d’éprouver le sort des armes. Voilà mon avis : si quelqu’un en a un meilleur à proposer, qu’il parle. »

L’avis étant unanimement adopté, Cyrus fit assembler les prisonniers, et leur dit : « Votre soumission vous a sauvé la vie ; si vous vous conduisez de même à l’avenir, il ne vous arrivera rien de fâcheux, vous n’aurez fait que changer de maîtres. Vous habiterez les mêmes maisons, vous cultiverez les mêmes champs, vous vivrez avec les mêmes femmes, vous aurez la même autorité sur vos enfans : seulement, vous ne ferez plus la guerre ni à nous, ni à aucun autre peuple ; si vous êtes insultés, nous combattrons pour vous. Afin même que vous ne puissiez être forcés à prendre les armes, remettez-nous celles que vous avez : quiconque les apportera, jouira en pleine sécurité de la paix et des autres biens dont je parle ; au lieu que nous tournerons nos forces contre ceux qui ne livreront pas leurs armes. Si quelqu’un se donne à nous d’assez bon cœur pour chercher à devenir utile par ses actions ou par ses conseils, nous le traiterons, non comme un captif, mais comme bienfaiteur et ami. Retenez bien ce que je vous dis, et l’annoncez à vos compatriotes. S’il s’en trouvait qui osassent contrarier votre vœu, menez-nous vers eux ; afin qu’ils sachent que c’est à vous de donner la loi, et non de la recevoir. » Ainsi parla Cyrus. Les prisonniers se prosternèrent à ses pieds, et promirent d’exécuter ce qu’il avait prescrit.

Chap. 5. Lorsqu’ils furent partis : « Mèdes et Arméniens, dit Cyrus, il est temps que nous pensions à prendre notre repas : nous vous avons fait préparer, avec tout le zèle possible, ce qui vous est nécessaire ; allez. Vous nous enverrez la moitié de la provision de pain ; il y en a suffisamment pour nous tous : n’envoyez ni viande ni boisson ; nous en avons ce qu’il nous faut. Vous, Hyrcaniens, conduisez-les aux tentes : vous donnerez les plus grandes aux chefs ; vous savez où elles sont : les autres seront partagées aux soldats de la manière que vous jugerez la plus convenable. Allez ensuite souper à votre aise ; vos tentes ne sont point endommagées ; tout y est prêt comme dans les autres. Soyez sans inquiétude sur la garde des dehors du camp pendant cette nuit ; nous nous en chargeons : veillez seulement à celle du dedans ; et comme les prisonniers qui sont dans les tentes ne sont pas encore nos amis, ne quittez pas vos armes. » Les Mèdes et les soldats de Tigrane, voyant qu’en effet tout était prêt pour le repas, allèrent se laver ; puis ayant changé d’habit, ils soupèrent. Les chevaux n’avaient point été oubliés ; ils ne manquèrent de rien. Les Mèdes et les Arméniens envoyèrent aux Perses la moitié de leurs pains, mais sans y joindre ni vin ni viande, parce que Cyrus leur avait assuré que ses soldats en avaient abondamment : or, il avait voulu dire seulement que la faim leur tenait lieu de bonne chère, et que l’eau du fleuve suffisait pour leur boisson. Lorsque les Perses eurent soupé, et que la nuit fut venue, Cyrus fit partir plusieurs détachemens, les uns de cinq hommes, les autres de dix, avec ordre de se mettre en embuscade autour du camp ; afin que personne n’y entrât, et qu’on arrêtât ceux qui voudraient en sortir avec du butin, comme il arriva effectivement ;