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XÉNOPHON.

plus content que si tu m’avais donné les immenses richesses renfermées dans Babylone, même dans l’univers. »

Gobryas, étonné de ce discours, et soupçonnant qu’il voulait parler de sa fille, lui demanda quel était ce don si précieux. « Je ne doute pas, Gobryas, répondit le prince, qu’il n’y ait beaucoup de gens au monde qui ne voudraient ni commettre une injustice, ni se parjurer, ni mentir de propos délibéré : cependant, parce que personne ne leur a confié ni un dépôt considérable d’argent, ni le gouvernement d’un état, ni la défense d’une place, ni la garde de ses enfans, ils meurent sans avoir montré de quoi ils étaient capables. Mais toi, en remettant entre mes mains des biens de toute espèce, des châteaux fortifiés, tes troupes, une fille, digne objet de tous les vœux, tu me fournis le moyen d’apprendre à l’univers que Cyrus n’est point parjure envers ses hôtes, que l’amour des richesses ne le rend point injuste, qu’il ne manque point à la foi jurée. C’est là, Gobryas, sois-en sûr, ce don qui excitera toujours ma reconnaissance, tant que je serai juste et jaloux de mériter les éloges qui m’ont été jusqu’ici donnés à ce titre. Puissé-je te combler à mon tour de biens et d’honneurs ! Quant à ta fille, ne crains point de ne pas rencontrer un mari digne d’elle : j’ai plusieurs braves amis ; celui d’entre eux qu’elle aura pour époux sera-t-il plus ou moins riche qu’elle, je l’ignore ; mais sache qu’il en est parmi eux pour qui les grands biens dont tu la doteras ne seraient pas un motif de rechercher ton alliance avec plus d’empressement. Ceux-là même envient aujourd’hui mon sort, et demandent à tous les Dieux de pouvoir montrer un jour qu’ils sont aussi fidèles que moi envers leurs amis ; qu’ils ne cèdent jamais à l’ennemi tant qu’ils ont un souffle de vie, à moins qu’ils n’aient le ciel contre eux ; et qu’ils font plus de cas de la vertu et de la bonne renommée, que de ton opulence jointe à celle des Syriens et des Assyriens. Ce sont des hommes de ce caractère que tu vois ici. — Au nom des Dieux, Seigneur, reprit Gobryas en souriant, indique-les moi, afin que je t’en demande un pour mon gendre. — Tu n’auras pas besoin de moi pour les connaître : viens avec nous ; bientôt tu seras toi-même en état de les faire connaître aux autres. »

Cela dit, Cyrus prit la main de Gobryas, se leva et partit avec toute sa suite. On le pressa vainement de souper dans le château ; il voulut retourner au camp, et emmena Gobryas souper avec lui. Lorsque le prince fut couché sur un monceau de feuillages, « Dis-moi, Gobryas, crois-tu avoir plus de lits que chacun de nous ? — Certes, vous possédez plus de tapis et plus de lits que moi : votre maison est aussi beaucoup plus vaste que la mienne, vous dont l’habitation est la terre entière et la voûte des cieux. Ainsi vous avez autant de lits qu’il y a de places sur la surface de la terre : vous avez pour tapis, non la dépouille des brebis, mais les broussailles qui croissent sur les montagnes et dans les champs. »

Gobryas, qui mangeait pour la première fois avec les Perses, et voyait les mets grossiers qu’on leur servait, jugea que ses gens étaient beaucoup mieux traités, surtout quand il eut remarqué la tempérance des conviés. En effet, quelque espèce de mets ou de boisson qu’on présente à un Perse formé aux écoles publiques, il n’y jette point un œil avide, il n’y porte pas une main empressée ; son esprit calme n’est pas moins capable de réflexion que s’il n’était pas à table. Ainsi qu’un bon cavalier conserve à cheval toute sa tête, et