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LA CYROPÉDIE, LIV. VI.

qu’il voyait attentifs à perfectionner la discipline de sa troupe, il les encourageait en leur donnant ou des éloges, ou les grâces qui pouvaient dépendre de lui. Quand il offrait un sacrifice ou célébrait une fête, il formait des divers exercices de la guerre autant de jeux militaires ; il accordait des prix aux vainqueurs : la gaîté animait toutes les troupes.

Déjà, excepté les machines, tout ce qu’il pouvait désirer était prêt pour marcher à l’ennemi. Déjà la cavalerie perse était complétée à dix mille hommes : il possédait cent chars armés de faux, construits à ses dépens ; cent autres que le susien Abradate avait faits pareils à ceux du prince ; cent aussi de Cyaxare, qui par le conseil de son neveu, avait reformé sur le même modèle les chars médiques, auparavant semblables aux chars troyens et libyens : de plus il avait été réglé que chaque chameau porterait deux archers. Une si grande confiance animait la plupart des soldats ; ils se croyaient déjà victorieux, ils comptaient pour rien les forces de l’ennemi.

Telle était la disposition des esprits, lorsque revinrent les Indiens envoyés par Cyrus pour observer. Ils rapportèrent que Crésus avait été élu général en chef de l’armée ; qu’on avait arrêté que les rois alliés s’y rendraient au plus tôt avec toutes leurs troupes, et des sommes considérables, pour stipendier autant de soldats qu’on en pourrait enrôler, et faire à propos des largesses ; que déjà ils avaient à leur solde quantité de Thraces armés de longues épées ; que cent vingt mille Égyptiens portant des haches, d’énormes boucliers qui les couvraient de la tête aux pieds, et de longues piques pareilles à celles dont ils se servent aujourd’hui, étaient en mer ; qu’ils attendaient encore une armée de Cypriens ; que déjà tous les Ciliciens les habitans de l’une et l’autre Phrygie, les Lycaoniens, les Paphlagoniens, les Cappadociens, les Arabes, les Phéniciens, et les Assyriens, étaient arrivés, le roi de Babylone à leur tête ; que les Ioniens, les Éoliens et presque tous les Grecs d’Asie avaient été contraints de suivre Crésus ; que Crésus avait envoyé solliciter l’alliance des Lacédémoniens ; que le rendez-vous général était sur les bords du fleuve Pactole ; que de-là on devait marcher vers Thymbrara, où s’assemblent encore de nos jours les barbares de la basse Syrie, soumis à la domination des Perses ; qu’enfin on avait ordonné à tous ceux qui auraient des vivres à vendre, de les porter dans ce lieu. Ce rapport était confirmé par les prisonniers ; car Cyrus s’attachait surtout à la poursuite de gens dont il fût possible de tirer quelques instructions : il faisait aussi passer chez l’ennemi des espions vêtus en esclaves, qui se donnaient pour transfuges.

À ces nouvelles, comme cela devait être, tous les soldats étaient dans l’inquiétude ; ils allaient et venaient plus silencieux qu’auparavant ; ils n’avaient plus leur gaîté : on s’assemblaient par pelotons, on se questionnait, on raisonnait.

Cyrus remarquant que la terreur gagnait son armée, fit appeler les principaux chefs et tous ceux dont l’abattement eût été aussi préjudiciable que leur assurance devait être utile. Il ordonna aux gardes de ne point repousser les soldats qui se présenteraient pour entendre ce qu’il allait dire. Quand ils furent arrivés, il leur tint ce discours :

« Mes amis, je vous ai mandés, m’apercevant que plusieurs d’entre vous paraissent effrayés, depuis les nouvelles qui nous sont venues de l’ennemi. Il paraît étrange que quelqu’un