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LA CYROPÉDIE, LIV. VII.

nécessaire pour se former en demi-cercle, et ordonna que les deux extrémités se courbassent en forme de gamma, pour assaillir les Perses en même temps de toutes parts. Ce mouvement qui fut aperçu par Cyrus, ne l’arrêta point, et ne changea rien à l’ordre de sa marche : mais observant que dans la courbe qu’ils décrivaient, ils s’étendaient beaucoup sur les ailes : « Vois-tu, dit-il à Chrysante, quel tour prennent ces ailes ? — Je le vois, et j’en suis étonné : il me semble qu’elles s’éloignent beaucoup de leur corps de bataille. — Oui, mais je trouve aussi qu’elles s’éloignent beaucoup de nous. — Sais-tu pourquoi ? — C’est que si elles nous approchaient trop, tandis que le corps de bataille est encore loin, elles craindraient que nous n’allassions à la charge. — Mais comment ces différens corps, séparés par un si grand intervalle, pourront-ils se secourir les uns les autres ? — Il est clair que quand les ailes auront pris assez de terrain, elles tourneront sur nos flancs, et, marchant à nous en bataille, nous attaqueront de tous côtés à-la-fois. — Crois-tu cette manœuvre bonne ? Oui, répondit Cyrus, d’après ce qu’ils voient de notre ordonnance : mais relativement à ce que je leur en ai caché, ils auraient encore mieux fait de nous attaquer de front. Au reste, toi, Arsamas, mène l’infanterie au petit pas, comme tu me vois marcher ; toi, Chrysante, suis avec la cavalerie, et du même pas qu’Arsamas. Je me porterai à l’endroit où j’ai dessein de former la première attaque, et j’examinerai en passant si tout est en bon état. À mon arrivée, lorsque nous serons près d’en venir aux mains, j’entonnerai l’hymne du combat, auquel vous répondrez. Aussitôt que l’attaque commencera, ce que vous jugerez facilement au bruit qui se fera entendre, Abradate, suivant l’ordre qu’il va recevoir, fondra impétueusement avec ses chars sur les bataillons qui lui sont opposés : suivez-le d’aussi près que vous pourrez, afin de profiter du désordre qu’il y causera. Pour moi, je vous rejoindrai le plus tôt qu’il me sera possible, pour vous aider à poursuivre les fuyards, si telle est la volonté des Dieux. »

Après avoir ainsi parlé et donné pour mot de ralliement, jupiter sauveur et conducteur, il partit. En passant entre les chars et l’infanterie pesante, il parlait à-peu-près en ces termes aux soldats que ses regards rencontraient dans les rangs : « Amis, disait-il aux uns, que j’aime à voir votre contenance ! À d’autres : Songez qu’il s’agit aujourd’hui, non-seulement d’une victoire, mais des fruits de la victoire précédente, et du bonheur de toute notre vie. À d’autres encore : Camarades, nous n’aurons plus désormais à accuser les Dieux ; ils nous fournissent l’occasion d’acquérir beaucoup de biens ; soyons braves. Et plus loin : À qu’elle fête plus magnifique que celle-ci pourrions-nous mutuellement nous inviter ? Il ne tient qu’à votre bravoure de vous procurer de grandes richesses. Vous le savez, disait-il ailleurs ; poursuivre l’ennemi, frapper, tuer, s’emparer de tout, s’entendre louer, être libres, commander, voilà le partage des vainqueurs : un sort tout contraire attend les lâches. Que ceux qui s’aiment combattent donc avec moi ; je ne donnerai l’exemple ni de la lâcheté ni d’aucune action honteuse. S’il rencontrait quelques-uns des soldats qui s’étaient trouvés à la première bataille : Amis, leur disait-il, qu’est-il besoin de vous parler ? vous savez comment les braves et les lâches passent leur temps un jour de combat. »