Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/754

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
753
LA CYROPÉDIE, LIV. VIII.

place plus honorable que la mienne ? — Te le dirai-je ? — Assurément. — Et toi à ton tour, ne te fâcheras-tu pas si je te parle franchement ? — Je serai fort aise, au contraire, de voir que tu ne m’as point fait d’injustice.

Eh bien, dit Cyrus, sache d’abord, que Chrysante n’attendait pas qu’il fût mandé ; il me prévenait chaque fois que le bien des affaires l’exigeait : Chrysante ne se bornait pas à exécuter mes ordres : il faisait de lui même tout ce qu’il jugeait pouvoir nous être avantageux. Quand il était nécessaire que je conférasse avec les alliés, Chrysante m’aidait de ses conseils sur ce que je devais leur dire : soupçonnait-il que je désirasse de leur faire savoir certaines choses dont il n’était pas convenable que je leur parlasse, il les proposait comme une idée qui lui était propre. Ne pourrais-je pas dire après cela, qu’il m’a souvent mieux servi que je ne me servais moi-même ? J’ajouterai que Chrysante est toujours content de ce qu’il a, et qu’on le voit sans cesse travaillant à m’agrandir, à me procurer de nouveaux avantages : enfin ce qui m’arrive d’heureux, lui cause plus de joie qu’à moi.

— Par Junon je suis ravi de t’avoir fait ma question. — Pourquoi ? — Parce que je vais m’efforcer d’imiter Chrysante : un seul point m’embarrasse ; à quels signes verra-t-on que je me réjouis de tes succès ? rirai-je, battrai-je des mains ? que faut-il que je fasse ? Que tu danses à la perse, répondit Artabase. » Sur cela, l’assemblée se mit à rire.

Comme le repas se prolongeait, Cyrus adressant la parole à Gobryas : « Dis-moi, Gobryas, serais-tu plus disposé à marier ta fille à quelqu’un de ceux que tu vois ici, que tu ne l’étais quand tu vins nous joindre pour la première fois ? Faut-il aussi, demanda Gobryas, que je te parle sincèrement ? — Sans doute ; ce serait mal répondre à une question, que de ne pas dire la vérité. — Eh bien, sache que je consentirais aujourd’hui beaucoup plus volontiers à ce mariage. — Pourrais-tu m’en dire le motif ? Assurément. — Explique-toi. — C’est qu’alors je ne connaissais de tes amis que leur constance dans les fatigues, et leur intrépidité dans les dangers ; au lieu que je connais à présent leur modération dans la prospérité : or il est plus difficile, selon moi, de rencontrer une homme capable de soutenir la bonne fortune, que d’en trouver un qui sache supporter la mauvaise ; l’une pour l’ordinaire engendre l’orgueil, l’autre inspire toujours la modestie. Entends-tu Hystaspe, reprit Cyrus, le mot de Gobryas ? — Oui, seigneur ; et s’il tient souvent de pareils discours, je rechercherai sa fille avec bien plus d’empressement que s’il étalait à mes regards quantité de vases précieux. J’ai mis par écrit, répartit Gobryas, plusieurs maximes du même genre, dont je te ferai part si tu épouses ma fille. Quant à mes vases, puisque tu parais en faire peu de cas, je ne sais si je ne dois pas les donner à Chrysante, qui, aussi bien, t’a déjà enlevé ta place. » Cyrus prenant la parole : « Hystaspe, dit-il, et vous tous qui êtes ici, quand vous voudrez vous marier, adressez-vous à moi ; vous verrez comment je vous servirai. Et ceux qui voudraient marier leurs filles, reprit Gobryas, à qui faudra-t-il qu’ils s’adressent ? Encore à moi, répondit Cyrus : j’ai pour cela un talent particulier. Quel est ce talent, demanda Chrysante ? — Celui d’assortir les mariages. De grâce, dis moi, répliqua Chrysante, quelle serait, à ton avis, la femme qui me conviendrait le mieux ? — Il faudrait d’abord qu’elle fût de petite taille, parce que tu es petit : si tu la prenais grande, et que tu voulusses

48