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LA CYROPÉDIE, LIV. VIII.

manquer à elle-même si elle avait négligé de lui offrir ses meilleures productions, fruits, animaux, ouvrages de l’art. Les particuliers s’estimaient riches, quand ils avaient pu lui faire un présent : en effet, le prince, après avoir reçu d’eux des choses qu’ils avaient en abondance, leur donnait en échange celles dont il savait qu’ils manquaient.

Chap. 7. Ainsi vécut Cyrus. Devenu vieux, il partit pour la Perse : c’était le septième voyage qu’il y faisait, depuis l’établissement de son empire. On conçoit que son père et sa mère étaient morts depuis long-temps. À son arrivée, il offrit les sacrifices ordinaires, commença la danse en l’honneur des Dieux, suivant l’usage des Perses, et fit des largesses à tout le peuple. Ensuite, il se retira dans son palais : s’y étant endormi, il vit en songe un personnage dont l’air majestueux n’annonçait pas un mortel, et qui s’approcha de lui, en prononçant ces mots : « Prépare-toi, Cyrus, tu vas bientôt rejoindre les Dieux. »

Ce songe l’éveilla : il jugea que la fin de sa vie approchait. Il choisit des victimes, et, selon le rit perse, alla sacrifier sur les montagnes, à Jupiter protecteur de sa patrie, au Soleil, et aux autres divinités, en leur adressant cette prière :

« Jupiter, Dieu de mes pères, Soleil, et vous Dieux immortels, recevez ce sacrifice qui termine ma glorieuse carrière ! Je vous rends grâces des avis que j’ai reçus de vous, par les entrailles des animaux, par les signes célestes, par les augures, par les présages, sur ce que je devais faire ou éviter : je vous rends grâces aussi de n’avoir jamais permis que je méconnusse votre assistance, ni que dans le cours des mes prospérités j’oubliasse que j’étais homme. Je vous prie d’accorder à mes enfans, à ma femme, à mes amis, à ma patrie, des jours heureux ; à moi, une fin digne de ma vie. »

Après les sacrifices, il retourna au palais, et se coucha, pour prendre un peu de repos. Ses baigneurs vinrent à l’heure accoutumée lui proposer de se mettre dans le bain : il répondit qu’il voulait se reposer. L’heure du repas étant venue, on servit son souper : il n’était pas disposé à manger ; mais, comme il avait soif, il but avec plaisir. Le lendemain et le jour suivant, se trouvant dans le même état, il fit appeler ses fils ; ils l’avaient accompagné dans son voyage : il manda aussi ses amis, et les principaux magistrats des Perses ; les voyant tous rassemblés, il leur tint ce discours :

« Mes enfans, et vous tous mes amis qui êtes présens, je reconnais à plusieurs signes, que je touche au terme de ma vie. Quand je ne serai plus, regardez-moi comme un homme heureux ; que ce sentiment se montre dans vos actions comme dans vos discours. Dans l’enfance, j’ai recueilli tous les honneurs accordés à cet âge : j’ai constamment joui du même avantage, dans l’adolescence et dans l’âge mûr. Il m’a toujours semblé que mes forces augmentaient avec le nombre de mes années ; en sorte que dans ma vieillesse, je ne me suis pas senti moins vigoureux que je l’étais dans ma jeunesse. J’ai vu toutes mes entreprises couronnées du succès, tous mes vœux exaucés. J’ai vu mes amis heureux par mes bienfaits, et mes ennemis asservis. Avant moi, ma patrie était une province obscure de l’Asie ; je la laisse souveraine de l’Asie entière : je ne sache pas avoir jamais perdu une seule de mes conquêtes. Cependant, quoique ma vie ait été un