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ARRIEN, LIV. II.

L’historien Hécate rapporte que l’Hercule argien, chargé par Eurysthée d’enlever et de conduire à Mycènes les vaches de Géryon, n’aborda ni chez les Ibères, ni dans aucune île Érythie, située sur l’Océan ; que Géryon était un roi du continent vers Amphiloque et Ambracie ; que ce fut là que le héros mit fin à sa pénible entreprise. On sait aussi que ce pays est fertile en pâturages, et renommé par l’excellence de ses bestiaux, et qu’Eurysthée fut célèbre par ceux qu’il en tira. Il n’est point absurde de croire que le roi de ces contrées se nommait Géryon ; mais il le serait de penser qu’Eurysthée eût connu les Ibères, derniers peuples de l’Europe, le nom de leur roi, et la beauté des troupeaux qui paissent dans ces régions, à moins qu’on ne fasse intervenir Junon qui le révèle à Hercule par Eurysthée, et qu’on ne sauve ainsi l’extravagance de l’Histoire par la Fable. C’est à cet Hercule tyrien qu’Alexandre voulait sacrifier.

Les Tyriens, accédant à toutes ses autres demandes, lui firent dire qu’aucun Grec, aucun Macédonien, n’entrerait dans leur ville : réponse qu’ils jugèrent la plus prudente, d’après l’état des choses, et l’incertitude des événemens de la guerre.

Alexandre indigné du refus des Tyriens, fait retirer leurs députés, convoque les Hétaires, les généraux de son armée, les Taxiarques, les Ilarques :

« Amis, camarades, leur dit-il, nous ne pouvons tenter sûrement une expédition en Égypte, tant que la flotte ennemie tiendra la mer, ni poursuivre Darius, tant que nous ne serons pas assurés de Tyr, et que les Perses seront maîtres de l’Égypte et de Cypros. Plusieurs considérations, mais entre autres, l’état de la Grèce, font craindre que l’ennemi reprenant les villes maritimes, tandis que nous marcherions vers Babylone et contre Darius, ne transporte la guerre dans nos foyers avec une flotte formidable, au moment où les Lacédémoniens se montrent nos ennemis déclarés, et où la fidélité des Athéniens est moins l’ouvrage de l’affection que de la crainte. Au contraire, la prise de Tyr et de toute la Phénicie, enlève aux Persans l’avantage de la marine phénicienne, et nous en rend maîtres ; car il n’est pas à présumer que les Phéniciens nous voyant dans leurs murs, tournent contre nous leurs forces maritimes pour défendre une cause étrangère. Cypros se joindra ensuite à nous, ou peu de forces suffiront pour la conquérir. Notre flotte ainsi réunie à celle des Phéniciens, Cypros soumise, nous tenons l’empire de la mer, nous attaquons l’Égypte avec succès : vainqueurs de ces contrées, la Grèce et nos foyers ne nous laissent plus d’inquiétude ; les Perses sont chassés de toutes les mers, et repoussés au-delà des rives de l’Euphrate ; nous marchons vers Babylone avec plus de gloire et d’assurance. »

Ce discours eut tout son effet. D’ailleurs, un prodige sembla commander le siége de Tyr ; car cette nuit même, un songe transporta le prince aux pieds de ses remparts ; il crut voir l’image d’Hercule qui lui tendait la main et l’introduisait dans la ville. Cette vision signifiait, suivant Aristandre, que l’on ne prendrait Tyr qu’avec de grands efforts, vu la difficulté des travaux d’Hercule. Et en effet, le siége paraissait d’abord très difficile. La ville formait elle-même une île entourée de hautes murailles. La puissance maritime des Tyriens se fondait sur la quantité de leurs vaisseaux, et sur l’appui des Perses qui étaient maîtres de la mer.