Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/841

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
840
ARRIEN, LIV. IV.

neurs divins pendant sa vie, et, même après sa mort, il ne les dut qu’à l’ordre d’un oracle. Que si, nous voyant en petit nombre au milieu des Barbares, tu veux en prendre les mœurs, Alexandre, souviens-toi de la Grèce. C’est pour soumettre l’Asie à la Grèce que cette expédition a été entreprise. Espères-tu à ton retour, forcer les plus libres des hommes, les Grecs à t’adorer ? ou, s’ils sont exempts de cette honte, est-ce aux Macédoniens seuls que tu la réserves ? ou bien ambitionnes-tu un double hommage, homme pour les Grecs et les Macédoniens, veux-tu être un Dieu pour les Barbares ? Cette loi des Perses et des Mèdes, je le sais, on la fait remonter au fils de Cambyse, à Cyrus, le premier que l’on ait adoré parmi les hommes ; mais tu sais aussi que l’orgueil de ce Dieu fut humilié par un peuple pauvre, mais libre, par les Scythes. D’autres Scythes ont châtié l’insolence de Darius ; les Athéniens et les Lacédémoniens, celle de Xerxès ; Cléarque et Xénophon, à la tête seulement de dix mille hommes firent trembler Artaxerxès, et toi même, tu as vaincu Darius avant d’être adoré. »

Callisthène continua avec la même énergie : elle importuna Alexandre, mais plut aux Macédoniens. Alors les affidés d’Alexandre leur donnent le signal de l’adoration. On se tait, et les Perses, les plus avancés en âge et en dignité, se lèvent et l’adorent tour-à-tour. L’un d’eux, l’ayant fait d’une manière absolument abjecte, Léonnatus, un des Hétaires, se prit à rire. Alexandre s’en tint offensé, et ne pardonna que par la suite à Léonnatus.

Le fait est raconté différemment par d’autres. Alexandre couronnant une coupe d’or, l’aurait présentée à la ronde, en s’adressant d’abord aux complices du projet d’adoration. Le premier, après avoir vidé la coupe, se serait levé, prosterné ensuite à ses pieds, et en aurait été embrassé. L’exemple suivi de proche en proche, Callisthène, à son tour, se serait avancé pour recevoir l’embrassement, mais sans se prosterner : Alexandre occupé à causer avec Hephæstion, n’y aurait pas fait attention, si l’un des Hétaires, Démétrius ne l’eût averti de la noble hardiesse de Callisthène qui, alors repoussé par Alexandre, se serait retiré en disant : « Je n’y perds qu’un embrassement. »

Je n’insisterai point sur les fautes d’Alexandre ; mais je ne puis applaudir à ce que la philosophie de Callisthène eut d’excessif. Il suffit, dans ces circonstances, de se renfermer dans la modération ; pour être utile à un prince, il faut en savoir ménager les intérêts. La haine d’Alexandre contre Callisthène paraît justifiée par la rudesse de la franchise et de la vanité qu’il développa à contre-temps. De là cette promptitude d’Alexandre à croire aux délations qui accusaient Callisthène d’avoir pris part à la conjuration formée contre ce prince par les adolescens attachés à son service ; on allait jusqu’à accuser le philosophe de les y avoir excités. Telle fut l’origine de cette conjuration.

Chap. 5. Selon un usage établi par Philippe, les enfans des Macédoniens élevés en dignité, étaient choisis pour remplir auprès du roi les fonctions d’officiers de l’intérieur pendant le jour, et de gardes de sa personne pendant la nuit. Ils lui amenaient ses chevaux que devaient leur remettre les hippocomes ; ils l’élevaient sur son cheval à la manière des Perses, et l’accompagnaient à la chasse. On distinguait parmi eux Hermolaüs, qui paraissait attaché à la philosophie et particulièrement à Callisthène. On raconte que, suivant Alexan-