Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/853

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
852
ARRIEN, LIV. V.

s’étend à toute la contrée : cette montagne, qui domine nos murs, porte celui de Méros et rappelle l’origine de notre fondateur.

Depuis ce temps les habitans de Nysa sont libres, et se gouvernent par leurs lois. Le Dieu nous a laissé un témoignage de sa faveur : ce n’est que dans notre contrée que croît le lierre, inconnu dans tout le reste de l’Inde. »

Le discours d’Acuphis fut agréable à Alexandre ; il crut ou voulut faire croire ce qu’on rapportait de Bacchus, fier d’avoir marché sur ses traces au-delà desquelles il comptait s’élancer, éspérant aussi que, par une noble émulation des travaux de Bacchus, les Macédoniens seraient prêts à tout entreprendre. Il conserva aux habitans de Nysa leurs franchises.

Il s’informe ensuite de leur état politique ; il applaudit à leur constitution ; elle est aristocratique, et il exige qu’on lui livre comme otages trois cents équestres et cent membres du conseil des trois cents. Acuphis était du nombre de ces derniers ; il le nomme hyparque. Lequel souriant : « Eh comment une cité dépourvue de cent hommes de bien pourra-t-elle se gouverner ? Si son salut vous est cher, prenez trois cents et plus de nos équestres ; et au lieu d’exiger cent de nos meilleurs citoyens, demandez-en deux cents des plus mauvais, c’est le seul moyen d’assurer à notre cité la conservation de son ancien éclat. »

La prudente énergie de ce conseil ne déplut point à Alexandre, qui se contenta des trois cents équestres. Acuphis lui envoya son fils et son petit-fils.

Alexandre, curieux de visiter les monumens en la gloire de Dionysus dont le pays des Nyséens est peuplé, monte sur le Méros, suivi de la cavalerie des Hétaires et de l’Agéma des phalanges : le lierre et le laurier y croissaient en abondance : on y trouve des bois sombres et peuplés de fauves. Les Macédoniens reconnurent avec transport le lierre qu’ils n’avaient pas vu depuis long-temps. En effet, il n’en croît pas dans l’Inde, même aux lieux où l’on trouve la vigne ; ils en forment des guirlandes et des couronnes, et entonnent les hymnes de Bacchus, qu’ils appellent par tous ses noms. Alexandre y sacrifie et invite les Hétaires à un festin. On rapporte qu’alors les premiers des Macédoniens couronnés de lierre dans cette orgie, et comme saisis des fureurs dionysiaques, coururent en bacchans ivres et frénétiques.

Ce fait, je ne puis ni le certifier ni le rejeter. Je ne partage cependant point l’opinion d’Érathostène qui prétend que tous les honneurs rendus alors à la Divinité n’étaient qu’un hommage détourné qui s’adressait à l’orgueil d’Alexandre, auquel on applaudissait : il ajoute à l’appui mille fables des Grecs. Un autre qu’ils trouvent chez les Paropamisades, est celui de Prométhée ; c’est-là que l’infortuné a été attaché, qu’un aigle déchirait ses entrailles, et qu’Hercule vint rompre ses fers et immoler l’aigle. Ces vaches, marquées d’une massue, annoncent le séjour d’Hercule dans les Indes. Ils transportaient ainsi le Caucase du Nord à l’Orient, et donnèrent son nom à la montagne de Paropamise, pour imprimer un nouveau lustre aux exploits d’Alexandre. Ératosthène fait la même critique du voyage de Dionysus ; je laisse aux lecteurs à prononcer.

Alexandre arrivé aux bord de l’Indus, trouve le pont dressé par Héphæstion, plusieurs petits bâtimens et deux triacontères, des présens de Taxile, deux cents talens d’argent, trois mille