Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/890

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
889
ARRIEN, LIV. VII.

permettant à des Perses de vous embrasser, honneur que vous refusez à des Macédoniens. » Alors Alexandre l’interrompant : « Vous serez tous mes parens, ma famille ; je ne vous donne plus d’autre nom. » À ces mots Callinès s’approche, l’embrasse ; plusieurs des Macédoniens imitent son exemple, tous reprennent leurs armes, s’en retournent en faisant entendre des cris et des chants de joie.

Alexandre fait aux Dieux les sacrifices accoutumés, on prépare un banquet général. Il y prend place entre tous les Macédoniens qui occupent le premier rang ; les Perses sont au second, les guerriers des autres nations sont distribués par ordre de grades ou d’exploits. Une même coupe circule ; on fait les libations ; les prêtres des deux nations invoquent sur elles les Dieux : « Accordez-leur toute prospérité ; que leur union soit inaltérable, leur empire éternel ! » On comptait neuf mille convives, tous, à un signal donné, firent la même libation, et entonnèrent à-la-fois : io ! péan !

Alexandre licencie alors, de leur plein gré, les Macédoniens que leur âge ou leurs blessures rendaient inhabiles aux combats, au nombre de dix mille. Il leur accorda, outre leur paie, et la somme nécessaire pour leur voyage, un talent. Il exigea que les enfans qu’ils avaient eus des femmes de l’Asie y restassent, pour éviter le trouble que la présence de ces étrangers pourrait exciter dans les familles grecques ; mais il se chargea de les faire instruire selon les institutions des Grecs et dans leur tactique ; et lorsqu’ils seront en âge, il s’engage de les ramener lui-même en Macédoine et de les rendre à leurs parens. Telles étaient ses promesses pour l’avenir ; et afin de leur donner au présent le gage le plus certain de sa bienveillance, il voulut que Cratérus, le plus fidèle de ses amis, et qu’il chérissait à l’égal de lui-même, commandât et assurât leur retour : il leur dit adieu, et les embrasse, les larmes se confondent.

Cratérus doit prendre le gouvernement de la Macédoine, de la Thrace et de la Thessalie, et maintenir la liberté de la Grèce. Polysperchon l’accompagne, et le remplacera en cas d’accident ; Cratérus était d’une santé languissante. Il portait à Antipater l’ordre d’amener, pour remplacer ces vieilles bandes, un pareil nombre de Macédoniens dans la force de l’âge.

Ceux qui cherchent à dévoiler les secrets les plus obscurs de la politique : ces hommes pour lesquels l’apparence cache toujours des desseins que leur coup d’œil perfide empoisonne, répandirent qu’Alexandre, en rappelant Antipater de la Macédoine, avait cédé aux calomnies dont Olympias le chargeait. Mais peut-être que ce rappel, loin d’être injurieux à Antipater, n’était qu’un moyen de lui sauver les suites désagréables d’une irrémédiable rupture. En effet, le roi recevait souvent des lettres dans lesquelles il se plaignait d’une arrogance, d’une aigreur et d’une indiscrétion choquante dans la veuve de Philippe. Ce fut alors que ce prince laissa échapper ce mot : « Elle me fait payer bien cher un terme de dix mois. » Olympias, de son côté, dépeignait Antipater comme un despote enorgueilli de son empire, qui avait déjà perdu la mémoire de l’auteur de sa puissance, et qui affectait le premier rang dans la Macédoine et dans la Grèce. Alexandre devait sans doute prêter davantage l’oreille à des discours qui éveillaient naturellement la crainte de voir attaquer sa domination ; cependant il ne lui échappa ni parole ni ac-