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POLYBE, LIV. XXXVII.

le temps pouvait encore le disputer, ils voyaient, dis-je, le moyen de donner à leur patrie une supériorité définitive. C’était du moins l’avis de ceux qui étaient doués de sens et de pénétration.

Quelques-uns se refusaient à ces vues, en disant que telle n’était point l’intention des Romains en attirant à eux la souveraine autorité ; qu’ils tournaient plutôt vers le système envahisseur d’Athènes et de Lacédémone, marchant pas à pas, il est vrai, mais devant arriver à leur but, selon toutes les apparences. Car, ajoutèrent-ils, les Romains avaient commencé par faire la guerre à tous les peuples, jusqu’à ce qu’ils fussent assez puissans pour leur enjoindre la soumission et l’obéissance à leurs volontés. Ces actes avaient été le prélude de leur conduite envers Persée pour lui arracher la Macédoine ; maintenant enfin il leur fallait l’occupation de Carthage ; car, bien qu’ils n’eussent aucun forfait à lui reprocher, ils avaient pris contre elle une résolution inexorable, et ils étaient disposés à courir toutes les chances pour arriver à leur but.

D’autres disaient que les Romains étaient un peuple essentiellement habile dans l’art de gouverner et en possession d’une vertu particulière qui devait lui mériter le respect des nations, et que constituaient sa conduite franche et noble dans la guerre, ses opérations sans embûches secrètes et son mépris pour tout ce qui ressemblait à la ruse ou à la surprise. Ils n’estimaient, disait-on, que le danger que l’on voit en face, tandis que maintenant même les Carthaginois ne faisaient tout que par supercherie et par stratagème, et qu’ils savaient se mettre en évidence ou se cacher, jusqu’à ce qu’ils eussent tout-à-fait perdu l’espérance d’obtenir des secours de leurs alliés. On ajoutait, enfin, que des actes semblables indiquaient des intentions monarchiques plutôt que la politique romaine, et que, dans le fait, ils avaient plus d’un rapport avec l’injuste violation des traités. Voici ce que d’autres disaient : si les Carthaginois, avant de capituler, avaient eu les intentions qu’on leur prête ; s’ils avaient éludé peu à peu certaines clauses, et en avaient transgressé d’autres ouvertement, ils seraient véritablement coupables des torts qu’on leur impute. Après avoir conclu le traité qui donnait aux Romains le droit d’agir à leur volonté et le pouvoir de tout ordonner..... C’était quelque chose de semblable à une impiété..... C’était commettre une impiété que d’insulter aux dieux, à ses parens et aux morts ; mais c’était n’avoir point de foi que de manquer aux sermens et aux traités écrits..... Or, dans la circonstance présente, les Romains n’étaient coupables d’aucune de ces violations ; ils n’avaient, en effet, ni insulté les dieux, ni leurs parens, ni les morts ; ils n’avaient manqué ni à leurs sermens, ni à leurs conventions ; au contraire, ils reprochaient aux Carthaginois d’avoir tout violé sans que, de leur côté, ils eussent en aucune façon transgressé les lois, les usages et la foi des traités. Il en résultait que les Romains, après avoir accepté la libre reddition de leurs ennemis, se voyaient enfin réduits, par la mauvaise foi, à faire peser sur eux de si dures nécessités. Tels étaient les discours qu’on tenait sur les Carthaginois et sur les Romains.

En ce qui regarde le faux Philippe, ce qu’on en disait au commencement n’était point soutenable. Il apparaît tout-à-coup en Macédoine comme un homme tombé du ciel, qui méprise à