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POLYBE, LIV. XXXVII.

X.


Lorsque les Romains envoyèrent des députés pour arrêter les entreprises de Nicomède, et pour empêcher Attale de faire la guerre à Prusias, ils choisirent Marius Licinius, qui avait la goutte, et qui par conséquent était pris par les pieds ; et avec lui Aulus Mancinus, dont la tête, par suite de la chute d’une tuile, avait reçu de si graves blessures, qu’on s’étonnait de sa guérison ; enfin, en troisième lieu, Lucius Malléolus, le plus insensible des Romains. Comme cette mission réclamait de l’activité et de l’audace, les députés élus ne paraissaient pas remplir les conditions nécessaires. C’est ce choix, qui, au rapport des historiens, fit dire à Marcus Porcius Caton en plein sénat, qu’il arriverait que, non-seulement Prusias, livré à lui-même, périrait, mais encore que Nicomède vieillirait sur le trône ; car, ajoutait-il, quel succès attendre de semblables députés ; et lors même qu’ils agiraient avec vigueur, comment s’acquitteraient-ils de leur mission, puisqu’ils manquent de tête, de pieds et de cœur ? (Angelo Mai, etc.)


XI.


Pour moi, dit Polybe (en parlant de ceux qui s’en prennent à la fortune et au destin dans les malheurs publics ou particuliers), je veux donner mon avis sur cette question, autant que le comporte le genre que je traite. Toutes les fois qu’il s’accomplit un fait inintelligible à l’humanité, le doute conduit aussitôt chacun à en accuser un dieu ou la fortune. C’est ainsi qu’on nous voit expliquer le retour continuel des pluies favorables à la culture ; les grandes sécheresses et les froids excessifs qui détruisent les productions de la terre ; enfin les contagions de longue durée, et les autres phénomènes dont la cause est difficile à trouver. Alors l’homme, que la multitude des systèmes plonge dans l’incertitude, invoque les dieux dans son dénûment, leur immole des victimes, et envoie demander aux oracles de dire ou de faire ce qu’il convient pour écarter tant de maux. Après tout cela, il n’est pas plus possible de reconnaître les motifs qui ont produit ou causé les événemens dont le principe est caché.

Je ne vois cependant pas qu’il faille imputer aux dieux les malheurs que vient de souffrir la Grèce dans ces derniers temps, c’est-à-dire la dépopulation des villes, et la désolation qui tient nos campagnes en friche, bien que nous n’ayons eu ni guerres de longue durée, ni contagions. Si quelqu’un dans ces circonstances eût conseillé d’envoyer demander aux dieux ce qu’il fallait dire ou faire pour augmenter la population et donner des habitans à nos villes désertes, n’eût-il pas semblé étrange de faire une demande semblable, quand nous avions en nous-mêmes et la cause du mal et les moyens de le guérir ? car les hommes s’étant jetés dans la paresse, la lâcheté, les débauches, ne voulant plus se marier, ni élever les enfans nés hors du mariage, mais n’en gardant qu’un ou deux tout au plus pour les laisser riches et fortunés, n’était-ce pas là le principe du mal ? Que de ces deux enfans la guerre où la maladie en enlevât un, il est clair que la maison devenait déserte, et que, semblables aux ruches d’abeilles, les villes ainsi dépourvues n’ont plus de force. Il n’est donc pas besoin de demander aux dieux le moyen de sortir d’une telle détresse, car le premier venu vous dirait alors : Pourquoi, vous surtout qui avez des lois à cet égard, n’élevez-vous pas vos enfans ? Là dessus un devin, un prodige ne sert à rien : c’est la