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de leurs forces ; cependant le bruit se répandit qu’il était déjà sous les murs de la capitale ; et comme on n’avait point encore de nouvelles de l’armée, l’apparition de ce terrible ennemi, annoncée tout-à-coup parmi les citoyens qui l’ignoraient encore, remplit la ville de terreur et de désolation.

Enfin on apprit que Fulvius approchait. Annibal campa dans les Champs Pupiniens, à huit milles de Rome (un peu moins de trois lieues), et ce jour là même, Fulvius entra dans la ville, la traversa et s’établit hors des murs, entre la porte Esquiline et la porte Colline. Les consuls se réunirent à Fulvius, dont l’autorité venait d’être augmentée.

Le lendemain Annibal, quittant son camp, vint sur les bords de l’Anio. Il prit ensuite un corps de deux mille chevaux, s’avança jusqu’au temple d’Hercule, à la porte Colline, pour reconnaître la place. Fulvius fit charger les Carthaginois ; mais Annibal avait achevé sa reconnaissance ; il se retira.

Bientôt il présenta la bataille que les consuls ne refusèrent point ; mais comme il s’éleva dans ce moment un si violent orage que le soldat pouvait à peine tenir ses armes, chacun rentra dans son camp.

Tite-Live, qui met du merveilleux partout où il le peut, dit que la même chose arriva le jour suivant, ce qui fit penser au général carthaginois que les Dieux s’opposaient à son dessein. Mais le champ de bataille était sous les murs de la ville, coupé de maisons, de jardins, de fossés ; Annibal, inférieur en infanterie, vit, à son grand regret, qu’il était dangereux pour lui d’engager le combat. Telle est la vraie cause de sa retraite que les historiens regardent comme un miracle. On ne doit pas perdre de vue d’ailleurs, qu’Annibal n’était point venu dans le seul espoir de livrer bataille, ou d’escalader des murailles.

Ce général attendait, non sans une vive impatience, des nouvelles de Capoue, quand il apprit, avec étonnement, qu’il avait en tête une armée considérable, bien que Fulvius n’eût mené avec lui qu’un faible détachement.

Jamais la fortune de Rome ne se manifesta mieux qu’en cette occasion qui pouvait devenir si décisive. Au moment où Annibal parut, les consuls formaient et exerçaient leurs troupes composées des milices urbaines, et des volones (esclaves enrôlés après la bataille de Cannes), qui avaient quitté leurs drapeaux, et que l’on rappelait. Il se trouvait plus de quarante mille hommes dans les murs de la ville.

Cette garnison, déjà suffisante par elle-même, décida les proconsuls à ne pas quitter le siége de Capoue ; et ils pensèrent qu’un corps d’élite qui n’arrivait pas au quart de leur armée, pouvait être détaché sans danger, et suffisait pour donner de la contenance aux troupes un peu désorganisées des consuls. Il résulta de ces combinaisons qu’Annibal, ayant soixante mille hommes en tête, ne put rien entreprendre contre Rome ; et que l’armée de Capoue, qui montait encore à plus de cinquante mille combattans, demeurait assez forte pour défendre ses lignes.

Les consuls allaient sans doute suivre Annibal, et la grande activité de Fulvius lui faisait craindre de se trouver enfermé entre deux armées, s’il retournait au siége de Capoue. Ne pouvant plus rien pour empêcher la chute de cette place, il leva son camp, fit un grand détour par le Samnium et la Lucanie, et de là, rabattit, au fond du Brutium, sur Reggio, qu’il fut sur le point de surprendre. Les consuls passèrent en Apulie, et Fulvius rejoignit son collègue.