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la rapidité de la marche d’Asdrubal. Cet espace d’environ mille pieds romains, se trouve sur la rive droite du torrent de la Tuile, entre deux ponts dont le premier est à dix minutes au-dessous du village de la Tuile, et le second au-dessous du village de la Barma.

Ce fut là aussi que de Saussure, en 1792, retrouvait des amas de vieille neige conservés depuis l’hiver, comme ils s’y voyaient du temps de Polybe. Ces amas de neige, accumulés par les mêmes avalanches, devaient être plus considérables à cette première époque, et couvrir tellement le lit du torrent, que les Carthaginois s’imaginassent pouvoir passer dessus. La neige, fraîche tombée tout récemment, contribuait aussi à cacher le péril.

Ces renseigmens si positifs ; cette désignation des rochers blancs qui sont très rares dans les Alpes, et dont on ne trouve même aucun vestige sur les autres routes tracées au général carthaginois ; cette marche de quatorze cents stades le long du Rhône, comptée depuis le lieu du passage de ce fleuve, jusqu’à la montée vers les Alpes ; ou de huit cents stades depuis l’embouchure de l’Isère dans le Rhône, à partir du moment ou Annibal toucha l’île des Allobroges ; tant d’autres circonstances, décrites si minutieusement et si exactement par Polybe, n’auraient laissé aucun doute sur la véritable route que suivirent les deux généraux carthaginois, si depuis l’ouverture du chemin de la Grotte, c’est-à-dire depuis plus de cent soixante années, la petite ville d’Yenne, l’ancienne Etanna des Romains, n’avait cessé d’être fréquentée par les voyageurs, et qu’ainsi on n’eut laissé tomber dans l’oubli le chemin qui partait de là pour traverser les montagnes ; car il était le plus ancien de l’Allobrogie.

Cette route se trouve indiquée d’une manière positive par Simler, écrivain du xvie. siècle, dans son livre intitulé : Vallesiæ descriptio ; et de Alpibus commentarium. Il est vrai que les nombreux ouvrages de Simler, philosophe théologien, qui traite aussi quelques parties de l’histoire et de la géographie, sont en général peu connus.

On doit regretter qu’un militaire aussi judicieux que le général Vaudoncourt se soit laissé égarer dans cette recherche par Tite-Live, et peut-être plus encore par l’opinion si tranchée de Folard. L’Histoire des campagnes d’Annibal en Italie n’en restera pas moins comme une des productions les plus remarquables de notre siècle. Combien ont fait leur profit de cet ouvrage admirable, et l’ont critiqué ou fait critiquer ensuite indirectement, sans même oser le citer. Pour nous, nous lui devons beaucoup ; et si nous nous écartons quelquefois des opinions du général Vaudoncourt, c’est que nous n’avons jamais hésité un seul instant entre Tite-Live et Polybe.

Annibal commit une erreur bien funeste. Se rappelant les retards que lui avait coûté son expédition, il ne se hâta pas d’aller à la rencontre de son frère. Cependant Asdrubal était arrivé facilement de l’autre côté des monts avec quarante-huit mille hommes d’infanterie, huit mille cavaliers, et quinze éléphans.

Cette armée florissante, jointe à celle qui depuis si long-temps se soutenait glorieusement en Italie, eut sans doute produit de grands changemens ; Rome allait peut-être éprouver un coup plus terrible que tous ceux qui jusqu’alors n’avaient ébranlé qu’un instant les bases de sa puissance ; lorsque Asdrubal, poussé par une fatalité qui tient de l’aveuglement, négligea tout-à-