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cablée, ils se laissèrent tuer ou prendre, sans opposer la moindre résistance. Cette journée devint presque aussi sanglante que celle de Cannes, et lui fut comparée.

Tout le succès de l’entreprise doit être attribué à Claudius Néron. Cependant Asdrubal, dans ce jour malheureux, mérite des éloges. Il avait disposé ses troupes aussi habilement que le lieu et la circonstance lui avaient permis de le faire ; ses discours empêchèrent seuls son armée de succomber au découragement qui suit ordinairement une longue fatigue ; enfin sa conduite héroïque balança longtemps les avantages immenses que les Romains avaient sur lui. À la vue d’une perte irréparable, il se jeta au milieu des légions romaines, et trouva le trépas le plus glorieux.

Polybe regarde Asdrubal comme un parfait capitaine, et l’on se voit toujours tenté d’adopter l’opinion d’un historien dont le jugement est aussi sûr. Toutefois on ne peut se dissimuler qu’Asdrubal commit deux grandes fautes : la première, de livrer la bataille de Castulon, dont le résultat fut de le faire partir assez tard pour l’obliger de passer un quartier d’hiver en Gaule, ce qui avertit les Romains des dangers qu’ils couraient ; l’autre faute est le siége de Plaisance où il se laissa si longtemps amuser.

On doit regretter que la partie de l’histoire de Polybe où ce grand écrivain rendait compte en détail de ces faits si intéressans, soit perdue. On y verrait sans doute les motifs de la conduite d’Annibal ; et les circonstances qui, pendant quinze jours au moins, lui cachèrent l’absence du consul.

Il est certain qu’il ne pouvait se mettre en marche qu’après avoir reçu les nouvelles qu’il attendait ; que dans sa situation, il devait éviter toute espèce d’engagement, et se félicitait sans doute de l’inaction de ses adversaires. Mais cette inaction même aurait dû lui donner à penser.

De son côté, Asdrubal ne supposa pas qu’un général aussi vigilant que son frère se fût laissé tromper au point d’ignorer absolument le départ de Claudius ; il dut plutôt croire qu’il avait essuyé une grande défaite ; et le trouble où le jetèrent les différentes conjectures qu’il forma, l’obligèrent à cette malheureuse marche de nuit qui causa sa ruine.

Claudius Néron partit le soir après la bataille, et, retournant avec plus de célérité qu’il n’était venu, arriva le sixième jour à son camp. Vous savez qu’il fit jeter la tête d’Asdrubal devant les avant-postes de l’armée de son frère, et lui envoya deux prisonniers pour l’informer de qui s’était passé. Coup terrible, sous le poids duquel Annibal fut abattu, et où il ne put s’empêcher de reconnaître la mauvaise fortune de Carthage. C’était en effet l’échec le plus funeste qu’eût reçu ce grand homme ; et depuis lors, sa fortune n’alla qu’en déclinant.

Annibal comprit qu’il ne pouvait tenir la campagne devant l’armée romaine qui se fortifiait sans cesse, tandis que la sienne s’épuisait insensiblement. Il transporta tout son butin dans le Brutium, et en fit une vaste place d’armes, voulant donner du repos à ses troupes et les réorganiser. Là, retiré comme un lion dans sa tanière, Annibal brava long-temps encore les forces de Rome, qui, désespérant de le forcer, prit enfin la résolution de porter la guerre en Afrique.

Sous le rapport de l’art, il se passait en Espagne des faits intéressans. Asdrubal, en quittant ce pays, n’affaiblit