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on les traita avec une courtoisie que l’on doit regarder, de la part de Scipion, comme une prudente bravade. Il leur donna un tribun, avec ordre de leur faire voir le camp dans ses plus petits détails, et les envoya, sous une escorte, en leur recommandant de ne rien cacher à leur général.

La plus fâcheuse nouvelle qu’ils pouvaient lui apprendre, était l’arrivée de Massinissa qui, désertant la cause de Carthage, amenait aux Romains six mille hommes d’infanterie, et quatre mille cavaliers.

On pressait Annibal d’attaquer promptement l’ennemi ; et ce général, qui se connaissait des ressources dans un jour d’action, était assez porté à livrer bataille. Toutefois il fit cette réponse judicieuse aux envoyés du sénat : « Que, dans les règlemens politiques, un Conseil-d’État pouvait décider ; mais qu’à la guerre, le général devait seul juger du moment favorable pour combattre. »

Si l’armée d’Annibal s’était en effet beaucoup augmentée, il s’en fallait qu’elle égalât en discipline celle des Romains ; et cet illustre capitaine, qui jugeait bien le danger de sa position, et devait hésiter de compromettre Carthage avec des moyens aussi peu solides, fit demander un entretien à Scipion, par Massinissa, son ancien ami.

La conférence eut lieu en vue des deux armées, sur une éminence placée entre l’espace qui séparait les camps. Ces deux grands hommes, pénétrés d’une admiration réciproque, se considérèrent quelques instans sans dire une seule parole. Annibal rompit le premier le silence, demandant des conditions raisonnables, et consentant à confirmer les conquêtes des Romains en Sardaigne, en Sicile, en Espagne ; à leur abandonner enfin toutes les îles situées entre l’Italie et l’Afrique.

Scipion répondit qu’on ne leur offrait rien qu’ils ne possédassent depuis longtemps, et persistait à vouloir ajouter encore aux conditions imposées par lui, avant le retour d’Annibal en Afrique ; conditions auxquelles Carthage n’avait feint de souscrire que pour gagner du temps. Annibal et Scipion se séparèrent sans rien conclure ; et le jour suivant, comme d’un commun accord, les deux armées se rangèrent dans la plaine. (ans 551 de Rome ; 205 av. notre ère.)

L’infanterie romaine était excellente ; Scipion l’avait dressée avec beaucoup de soin. Outre la cavalerie ordinaire des légions, il avait un grand corps de cavalerie africaine, conduit par Massinissa, infidèle à la mauvaise fortune de Carthage ; de sorte qu’Annibal perdait cette supériorité que ses Numides lui donnèrent dans ses premières campagnes. Du reste, les deux armées semblent avoir été à peu près égales en force numérique.

Comme les Carthaginois possédaient un grand nombre d’éléphans, Scipion disposa son infanterie en conséquence[1]. Il plaça dans la première ligne les manipules des hastaires avec les intervalles ordinaires ; mais dans la seconde ligne, les manipules des princes furent rangés derrière ceux des hastaires ; les triaires, dans la troisième ligne, s’établirent derrière les princes. De cette manière, l’échiquier fut détruit, et les intervalles des trois lignes se répondant l’un à l’autre, rendaient le passage facile aux éléphans.

Les vélites, distribués par Scipion entre les manipules de la première ligne, pour cacher à l’ennemi sa disposition, devaient fondre tout-à-coup sur les éléphans, dès qu’ils les verraient avancer, afin de leur faire rebrousser chemin ;

  1. Voyez l’Atlas.