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Grande-Arménie dont elle était la capitale, avant de devenir la première ville des états de Tigranes.

Nous voyons aussi que la Grande-Arménie se présente sous l’aspect d’un pays couvert, montueux et coupé. Dans ces sortes de localités, les fleuves coulent ordinairement entre deux chaînes de montagnes. Ne pourrait-on pas en inférer que l’endroit où Tigranes se rangea en bataille, était resserré, et que ce prince ne trouva pas à portée du fleuve une plaine assez vaste pour y développer sa cavalerie.

Il ne pouvait manquer d’être battu ; toutefois on s’étonne que Mithridate, qui passe avec raison pour un des plus grands généraux de l’antiquité, laisse commettre à Tigranes des fautes aussi grossières. À moins que le roi de Pont n’ait pu se faire écouter de son gendre, et que, jugeant la bataille perdue, il ne se soit retiré à la hâte (comme on le lui reproche), pour éviter les embarras d’une déroute générale.

Cette bataille gagnée semblait assurer à Lucullus la prise d’Artaxate. On en commença le siége ; mais quand l’équinoxe d’automne fut arrivée, des tempêtes violentes s’élevèrent, et mirent à cette entreprise des obstacles que Lucullus n’avait pas prévus. La neige, la gelée, les frimats, rendirent les chemins difficiles ; la terre était devenue si humide que le soldat ne pouvait se reposer.

Les légions romaines se plaignirent d’abord aux tribuns des maux qui les accablaient, et les chargèrent de prier leur général de lever le siége d’Artaxate ; mais bientôt elles commencèrent à s’assembler tumultueusement, et le camp retentit de leurs cris séditieux.

Les efforts de Lucullus pour les contenir devenant inutiles, ce général se vit contraint de lever le siége, et prit un autre chemin pour passer le mont Taurus, d’où il descendit dans la Mygdonie, contrée fertile, et dont le climat était beaucoup plus tempéré.

Lucullus assiégeait Nisibe, capitale de cette province, ville vaste et très peuplée, où Tigranes avait envoyé une grande partie de ses trésors. Ce prince fit, dans cette occasion, un trait d’habileté trop au dessus de ses moyens pour qu’on puisse le soupçonner d’être l’auteur d’un projet si grand et si bien combiné. Au lieu de marcher à Nisibe pour la secourir, il alla fondre sur Fannius, resté avec quelques troupes dans l’Arménie. Le battre, c’était obliger Lucullus à lever le siége.

Fannius était un homme médiocre, et ses forces se trouvaient bien inférieures à celles de Tigranes ; le succès ne pouvait donc devenir douteux. Mais la victoire qui assurait Nisibe, n’empêchait pas Lucullus de rester dans l’Arménie, et le grand point était de l’obliger d’en sortir. Tigranes donne à Mithridate quatre mille hommes de ses troupes pour les joindre à quatre mille qu’il avait déjà, et le renvoie dans ses états, où son courage, ses talens et ses ressources ne pouvaient manquer de produire des événemens capables d’attirer l’attention du général romain, et de le forcer d’y retourner en personne.

Ce plan, où il est aisé de reconnaître le génie du roi de Pont, ne réussit pas entièrement ; Nisibe fut prise avant que Tigranes pût attaquer Fannius ; mais Mithridate rentra dans la Petite-Arménie Pontique, fondit sur les Romains dispersés, sans leur donner le temps de se reconnaître, et les fit tous massacrer.

Ce prince montrait un caractère défiant et cruel ; toutefois il devenait intéressant par ses défaites. Tant de revers inopinés, qui présentaient toujours l’effet des caprices de la fortune, ne lui