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humaine ait présidé à l’établissement de ce corps de milice. »

Mais aucun auteur ne s’est expliqué sur ce sujet avec plus d’éloquence que l’historien Josèphe, aussi célèbre par ses écrits que par ses combats. « Si l’on considère, dit-il, quelle étude les Romains faisaient de l’art militaire, on conviendra que la grande puissance à laquelle ils sont parvenus n’est pas un présent de la fortune, mais une récompense de leur vertu. Ils n’attendaient pas la guerre pour manier les armes ; on ne les voit pas, endormis dans le sein de la paix, ne commencer à remuer le bras que quand la nécessite les réveille ; comme si leurs armes étaient nées avec eux, comme si elles faisaient partie de leurs membres, jamais ils ne font trêve aux exercices ; et ces jeux militaires sont de sérieux apprentissages des combats. Tous les jours chaque soldat fait des épreuves de force et de courage ; aussi les batailles ne sont-elles pour eux rien de nouveau, rien de difficile ; accoutumes à garder leurs rangs, le désordre ne se met jamais parmi eux ; la peur ne trouble jamais leur esprit ; la fatigue n’épuise jamais leurs forces. Ils sont sûrs de vaincre, parce qu’ils sont sûrs de trouver des ennemis qui ne leur ressemblent pas ; et l’on pourrait dire, sans craindre de se tromper, que leurs exercices sont des combats sans effusion de sang, et leurs combats de sanglans exercices. »

Ce passage de Josèphe révèle aux moins clairvoyans la cause des prodigieux succès des Romains. On voit, en effet, qu’ils furent d’abord bien moins le fruit de manœuvres savantes, que le résultat de l’attention que Rome apportait à former ses soldats. Elle ne les jetait pas à l’aventure dans les légions pour y prendre l’esprit du corps ; elle savait les choisir avec soin, les préparer dans les exercices à tous les évènemens des batailles, et les contenir par une discipline sévère.

Il faut que cette discipline ait été bien profondément inculquée chez ce peuple, puisque la corruption qui s’introduisit à Rome avec la richesse, n’empêcha pas l’esprit militaire de s’y conserver, et que l’altération dans cette partie fut beaucoup plus lente et plus insensible que la décadence des mœurs. Les vertus civiles étaient mortes depuis long-temps, que la vertu guerrière respirait encore et se faisait sentir par de généreux efforts.

Lorsque les livres grecs pénétrèrent en Italie, et que les romains, mieux éclairés sur la cause de leurs revers, purent joindre à une constitution militaire dont il n’y eut d’exemple chez aucun peuple, la connaissance des autres parties de la guerre, il arriva aux généraux de Rome ce que l’on avait vu sous Alexandre : ils conquirent le monde connu. La manœuvre brillante de Scipion à Ilinga, en Espagne, où il attaqua par un double oblique, c’est-à-dire avec les deux ailes en refusant le centre, était un ordre de bataille connu chez les Grecs, et que ce grand capitaine sut appliquer à l’ordonnance de ses troupes avec tout l’art dont elle est susceptible. César à Pharsale, combattant contre une cavalerie décuple de la sienne, et ayant d’ailleurs en tête des soldats romains, ne dut la victoire qu’à l’habilité avec laquelle il sut faire soutenir ses faibles escadrons par des cohortes. C’était encore une manœuvre bien souvent employée par les Grecs, et dont Épaminondas s’était servi à la bataille de Leuctres.

Selon l’institution de Romulus, tous Romains étaient enrôlés dès l’âge de dix-sept ans, sans distinction de riches ni pauvres ; et quand le roi jugeait à propos de mettre une armée en campa-