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Dans les passages de vive force, non seulement les derniers bateaux des ponts étaient garnis de tours et d’archers ; mais on établissait sur le bord du fleuve que l’on occupait, des batteries de machines, ou quand la rivière était large, on portait des batteries flottantes sur des radeaux.

Nous avons dit que le passage du Rhin fut une promenade militaire. On voudrait qualifier ainsi l’expédition du proconsul au-delà de l’Océan. Les dangers que courut la flotte pouvaient le placer dans la position la plus fâcheuse ; car il n’avait point formé de magasins pour hiverner dans la Bretagne. César dut s’estimer heureux de sortir de ce mauvais pas.

« Est à remarquer, dit Rohan, que commencer une guerre en automne sans utilité apparente, en un pays point connu, n’y ayant aucune intelligence, et avoir à passer l’Océan, est une entreprise bien digne de l’invincible courage de César, mais non de sa prudence accoutumée. »

Eh ! que pouvaient après tout l’Océan déchaîné, ou toutes les mers en furie, contre les vaisseaux romains ! Ne portaient-ils pas César et sa fortune ?

Voyons comment Napoléon juge cette campagne. On lit dans ce chapitre des enseignemens développés à propos du pont que Napoléon fit jeter en 1809 sur le Danube. Tout ce que dit ce grand homme sur le passage des rivières, offre un puissant intérêt, et doit trouver sa place ailleurs.

« Les deux incursions que tenta César étaient toutes les deux prématurées, et ne réussirent ni l’une ni l’autre. Sa conduite envers les peuples de Berg et de Zutphen (les Usipètes et les Tenchtères) est contre le droit des gens. C’est en vain qu’il cherche dans ses Mémoires à colorer l’injustice de sa conduite. Aussi Caton le lui reprochait-il hautement. Cette victoire contre les peuples de Zutphen a été du reste peu glorieuse ; car quand même ceux-ci eussent passé le Rhin effectivement au nombre de quatre cent cinquante mille âmes, cela ne leur donnerait pas plus de quatre-vingt mille combattans, incapables de tenir tête à huit légions soutenues par des troupes auxiliaires et gauloises qui avaient tant d’intérêt à défendre leur territoire.

« Plutarque vante son pont du Rhin qui lui paraît un prodige ; c’est un ouvrage qui n’a rien d’extraordinaire et que toute armée moderne eût pu faire aussi facilement. Il ne voulut pas passer sur un pont de bateaux, parce qu’il craignait la perfidie des Gaulois, et que ce pont ne vînt à se rompre. Il en construisit un sur pilotis en dix jours ; il le pouvait faire en peu de temps. Le Rhin à Cologne a trois cents toises ; c’était dans la saison de l’année où il est le plus bas ; probablement qu’il n’en avait pas alors deux cent cinquante. Ce pont pouvait avoir cinquante travées qui, à cinq pilotis par travée, font deux cent cinquante pilotis avec six sonnettes ; il a pu les enfoncer en six jours, c’est l’opération la plus difficile ; le placement des chapeaux et la construction du tablier sont des ouvrages qui se font en même temps ; ils sont d’une nature bien plus facile. Au lieu de mettre ces cinq pilotis comme il les a placés, il eût été préférable de les planter tous les cinq à la suite les uns des autres, à trois pieds de distance, en les couronnant tous par un chapeau de dix-huit à vingt pieds de long. Cette manière a l’avantage que si un des pilotis est emporté, les quatre autres résistent et soutiennent les travées.

« C’est ainsi que l’ingénieur comte Bertrand l’a fait en 1809 sur le Danube, à deux lieues au-dessous de Vienne, vis-à-vis de l’île de Lobau. Le Danube