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Gaule Narbonnaise, policée, plusieurs siècles avant la conquête, par les Phocéens, fondateurs de Marseille.

Nous pensons qu’une critique éclairée devrait distinguer les lieux et les temps ; ne pas prendre des pierres informes pour des monumens de génie ; et cesser de confondre les petites nations nomades des Gaulois, connues seulement par des excursions de Barbares, avec la prétendue grande nation des Celtes qu’on ne connaît point du tout, malgré les écrits de tant de savans qui travaillent au milieu du vide le plus absolu, et cherchent des preuves dans des siècles et des pays où personne ne connaissait les moyens de transmettre les faits et la pensée.

Ils sont réduits à citer des auteurs grecs et latins qui, nés plus tard et loin de la Gaule, n’en parlent qu’au hasard, et disent ne rien connaître de ces peuples vers les siècles antérieurs. Mais combien de savans sont assez instruits pour avouer qu’ils ignorent quelque chose ?

Tous les auteurs grecs ou romains qui font mention des Gaulois, les traitent de Barbares, et ne leur attribuent que les mœurs des sauvages, jusqu’à l’époque du passage d’Annibal en Italie et les conquêtes des Romains dans la Gaule Transalpine. La manière dont César les dépeint, abandonnant leurs villes (oppida, et non urbes) hommes, femmes, fuyant dans les bois, indique des mœurs presque sauvages. Les habitans de l’Asie-Mineure, de l’Afrique, de la Grèce, de l’Égypte, ne laissaient pas ainsi leurs villes à l’approche des légions romaines.

Diodore de Sicile, qui écrivit peu de temps après la mort de Jules César, prête aux Gaulois les mêmes mœurs, quoique déjà la Gaule Narbonnaise fût assez civilisée, et que les Gaulois, plus septentrionaux, commençassent à se policer. Au reste, comme cet auteur étend les Gaules jusqu’à la Scythie, il semble comprendre sous ce nom la Germanie et les peuples du nord.

Il dit que les Gaulois ne prenaient point leurs repas assis sur des sièges, mais couchés sur des peaux de loup et de chien. On sent bien que cet usage est celui d’un peuple qui ne sait pas fabriquer des meubles. Diodore ajoute qu’ils étaient servis à table par leurs enfans de l’un et de l’autre sexe. Cette coutume se conserva long-temps chez nos aïeux, et on la retrouve dans l’habitude qu’avait la haute noblesse, de se faire entourer par les enfans de ses vassaux admis auprès d’elle sous le nom de pages.

Don Martin, don Brezillac, et des historiens postérieurs, prétendent que les Grecs et les Romains, en faisant de nos ancêtres un portrait hideux, et leur attribuant une ignorance aussi profonde, les ont calomniés, parce que les Gaulois parvinrent à les battre plusieurs fois ; mais les Grecs et les Romains ont été vaincus par bien d’autres peuples.

Les Perses brûlèrent la ville d’Athènes, et les Athéniens n’ont jamais regardé les Perses comme des sauvages. On les voit mépriser leurs mœurs molles et magnifiques ; les cités de l’Asie semblent aux Grecs corrompues par le faste ; mais nous savons par eux qu’elles étaient riches, vastes et peuplées.

Les Romains parlent ainsi des Perses. Ils vantent également les arts, les lois, les richesses de la Grèce, bien que Pyrrhus ait paru en vainqueur jusque sous les murs de Rome. Ils ne rendent pas moins de justice au commerce immense et à l’industrie des Carthaginois, malgré les victoires d’Annibal, qui leur tua tant de consuls.