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Dès qu’il parut, la cavalerie de César, qui se trouvait embarrassée entre la ligne de communication, les retranchemens du camp et la rivière, se retira précipitamment. L’infanterie, en suivant cet exemple, tomba dans le plus grand désordre. Cette partie du détachement de Pompée que César avait battue au commencement de l’action, se voyant si près d’être secourue, se rallia sur les derrières ; et le corps commandé par César en personne, observant la retraite tumultueuse de son autre division, se crut sur le point d’être enfermée dans les travaux de l’ennemi, et prit la fuite.

Dans ce désordre extrême, l’effroi fit oublier la présence de César, si imposante, si efficace en d’autres occasions. Un porte-enseigne qu’il s’efforça d’arrêter en retenant son étendard, lâcha prise et continua de courir ; un cavalier dont il saisit la bride du cheval, vida la selle et s’enfuit à pied. La déroute fut complète.

Mais si les fossés et les ouvrages au milieu desquels l’action s’engagea, gênaient les fuyards, ils n’offraient pas moins d’obstacles pour ceux qui les poursuivaient. Pompée ne s’attendait pas à une si prompte victoire ; il se persuada que cette armée en désordre cherchait à l’attirer dans quelque embuscade ; car il concevait une haute opinion de la valeur et de la discipline des troupes de César.

Elles avaient mérité cette réputation ; mais, à la guerre, la peur se communique comme la bravoure. S’il pouvait exister une armée qui fût exempte de ces mouvemens de faiblesse, cette armée, bien conduite, deviendrait invincible, puisque le prestige qui environne le général habile et trouble si souvent son adversaire n’existerait plus.

Pompée en subit ici l’influence, bien qu’il semble pourtant qu’un capitaine aussi expérimenté dût savoir distinguer une retraite simulée d’une déroute réelle : il fit ce jour-là une faute impardonnable. César, qui paraît toujours plus enclin à exagérer les bévues de son ennemi qu’à reconnaître ses avantages, déclare avoir perdu environ mille combattans et plus de trente enseignes. Il dit surtout que l’excessive prudence de Pompée sauva seule son armée.

La conduite personnelle de César fut un aveu de sa défaite. Il abandonna sur le champ les lignes de Dyrrachium et tous les postes extérieurs.

On ne voit pas moins clairement que Pompée perdit le moment décisif, ou ne connut son avantage qu’après qu’il n’était plus temps de le rendre complet. Il reçut cependant de ses soldats, avec les salutations ordinaires du triomphe, le titre d’imperator, et les peuples revinrent en sa faveur à cet ancien préjugé, qui le faisait regarder comme le plus grand général qui eût encore paru.

L’entreprise de César dans cette campagne singulière de Dyrrachium n’est pas à imiter. Il avoue lui-même qu’elle faussait les règles, et expose très-nettement tous les cas où l’on peut entreprendre d’enfermer son ennemi. L’armée de Pompée n’était dans aucun de ces cas, et César ne conçut cette opération que pour donner de l’éclat à ses armes ; c’est du moins ce qu’il nous dit.

Mais on ne fait jamais de faute impunément en présence d’un ennemi attentif. Pompée, communiquant à tous ses postes en ligne droite, devait avoir un avantage trop marqué sur César, qui de son grand camp ne pouvait aller aux siens que par la circonférence ; aussi, quand César nous raconte que Pompée prit la détermination de forcer ses lignes, d’après l’avis de deux Gaulois déserteurs qui lui en découvrirent