Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/344

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 336 —

sions des peuplades septentrionales dont il avait éprouvé la fureur.

Cette volonté de Rome, fermant d’abord l’entrée de l’Italie, coupant les chemins de la Grèce, et bientôt après repoussant les Barbares de la Gaule, offre un tableau superbe ; il s’embellit et s’agrandit encore, quand on voit les Romains, avec leurs légions, tracer une barrière en Europe et dans l’Asie, depuis le bord occidental de la mer Caspienne jusqu’à l’Océan Germanique, et même en Calédonie, et garder cette barrière intacte pendant quatre cents ans.

Un autre tableau non moins beau, non moins digne de l’homme d’état et de l’homme de guerre qui observent le caractère, l’instinct des nations, et les ressources que le génie peut opposer aux torrens du Nord pour en préserver le Midi ; un autre tableau, dis-je, non moins admirable, c’est celui que nous offrent les Chinois qui tiennent en Asie, à l’égard des nomades tartares, la même conduite à peu près que les Romains en Europe, envers les hordes de la Germanie.

Les Chinois chassèrent les Hiong-nou loin de leurs campagnes, subjuguèrent les rois de la petite Bulgarie, et plantèrent leurs drapeaux au bord oriental de la mer Caspienne. Il y eut alors une barrière étendue au travers des déserts, depuis les mers du Japon jusqu’aux îles Britanniques, barrière qui fermait les contrées cultivées du Midi aux Barbares errans du Septentrion.

Les deux vastes empires de Rome et de la Chine, inconnus l’un à l’autre, mus par les même craintes, développèrent une égale politique, employèrent des moyens semblables, et obtinrent pareillement des succès, à peu près dans le même temps.

Ils défrichèrent les terres qu’ils purent cultiver, tentèrent tous les moyens pour engager les nomades à tirer leur subsistance du sol, et fermèrent aussi leur empire. Les Chinois n’ayant point pour bornes un fleuve tel que le Danube, une mer comme l’Euxin, furent obligés de construire cette muraille célèbre par son immense étendue : c’était pour eux un désavantage, en comparaison de la défense naturelle des Romains.

La Méditerranée, l’Euxin, le Danube, portaient facilement des vaisseaux et des troupes d’un bout à l’autre de l’empire, lorsque les Chinois trouvaient des difficultés presque insurmontables au travers des déserts de sables ou de glaces. Il est évident que repousser les sauvages du Nord, et les instruire dans l’art de cultiver la terre, fut un dessein formel de la part de l’un et de l’autre peuple. Mais, le terrain aride et sablonneux qui entoure la Chine se présentait indéfrichable, tandis que les champs humides de la Germanie ne se refusèrent pas toujours au soc de la charrue.

Les Barbares errèrent en frémissant pendant plusieurs siècles autour de ces barrières ; ils parvinrent à les renverser aussitôt que les troubles intérieurs élevés dans les deux empires empêchèrent de les défendre. Ainsi, l’Océan rompt ses digues, quand le bois qui les forme a perdu sa vigueur.

Alors le combat recommença plus terrible, et les nomades triomphèrent à leur tour. Peut-être auraient-ils forcé les nations cultivatrices de renoncer à leurs instrumens aratoires, pour prendre la vie ambulante, si les chefs apprivoisés par les arts des vaincus, n’avaient recherché les douceurs d’une existence moins vagabonde.

À peine vainqueurs des agricoles, ces peuples tournèrent leurs armes contre eux-mêmes. Ce combat était bien loin