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POLYBE, LIV. I.

non s’empara d’une colline appelée Taurus, qui dominait sur le camp romain, et qui en était éloignée de dix stades, et s’y logea.

Pendant deux mois il ne se fit chaque jour que de légères attaques qui ne décidaient rien. Cependant Annibal élevait des fanaux et envoyait souvent à Hannon pour lui faire connaître l’extrême disette où il se trouvait, et le nombre des soldats que la famine contraignait de déserter. Sur cela Hannon prend le parti de hasarder une bataille. Les Romains, pour les raisons que nous avons dites, n’y étaient pas moins disposés. Les armées de part et d’autre s’avancent entre les deux camps, et le combat se donne : il fut long ; mais enfin les troupes légères à la solde des Carthaginois, qui se battaient en avant du front, furent mises en déroute, et, tombant sur les éléphans et sur la phalange qui étaient derrière eux, jetèrent le trouble et la confusion dans toute l’armée des Carthaginois. Elle plia de toutes parts. Il en resta une grande partie sur le champ de bataille ; quelques-uns se sauvèrent à Héraclée ; la plupart des éléphans et tout le bagage demeurèrent aux Romains. La nuit venue, on était si content d’avoir vaincu et en même temps si fatigué, que l’on ne pensa presque point à se tenir sur ses gardes. Annibal ne se voyant plus de ressource, profita de cette négligence pour faire un dernier effort. Au milieu de la nuit, il sortit d’Agrigente avec les troupes étrangères, combla les lignes de contrevallation et de circonvallation avec de grosses nattes de jonc et reconduisit son armée à la ville, sans que les Romains s’aperçussent de rien. À la pointe du jour ceux-ci, ouvrant enfin les yeux, ne donnèrent d’abord que légèrement sur l’arrière-garde d’Annibal, mais peu après ils fondent tous aux portes ; n’y trouvant rien qui les arrête, ils se jettent dans la ville, la mettent au pillage, font quantité de prisonniers et un riche butin.




CHAPITRE IV.


Les Romains se mettent en mer pour la première fois. — Manière dont ils s’y prirent. — Imprudence de Cn. Cornelius et d’Annibal. — Corbeau de C. Duillius. — Bataille de Myle. — Petit exploit et mort d’Amilcar. — Siéges de quelques villes de Sicile.


La nouvelle de la prise d’Agrigente remplit de joie le sénat, et lui donna de plus grandes idées qu’il n’avait eues jusqu’alors. C’était trop peu d’avoir sauvé les Mamertins, et de s’être enrichis dans cette guerre. On pensa tout de bon à chasser entièrement les Carthaginois de la Sicile : rien ne parut plus aisé et plus propre à étendre beaucoup la domination romaine. Toutes choses réussissaient assez à l’armée de terre. Les deux consuls nouveaux, L. Valerius et T. Octacilius, successeurs de ceux qui avaient pris Agrigente, faisaient dans la Sicile tout ce que l’on pouvait attendre d’eux. D’un autre côté, comme les Carthaginois primaient sans contredit sur mer, on n’osait trop répondre du succès de la guerre. Il est vrai que, depuis la conquête d’Agrigente, beaucoup de villes du milieu des terres, craignant l’infanterie des Romains, leur avaient ouvert leurs portes ; mais il y avait un plus grand nombre de villes maritimes que la crainte de la flotte des Carthaginois leur avaient enlevées. On balança long-temps entre les avantages et les inconvéniens de cette entreprise ; mais enfin le dégât que faisait souvent dans l’Italie l’armée navale des Carthaginois, sans que l’on pût s’en venger sur l’Afrique, fixa les incertitudes, et il fut résolut que l’on