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POLYBE, LIV. I.

la côte d’Italie s’approchaient, il voulut savoir par lui-même combien ils étaient, et dans quel ordre ils s’avançaient. Il prit cinquante vaisseaux ; mais, en doublant le promontoire d’Italie, il rencontra les ennemis voguant en ordre de bataille. Plusieurs de ses vaisseaux furent pris, et ce fut un miracle qu’il pût se sauver lui-même avec le reste.

Les Romains, s’étant ensuite approchés de la Sicile, et y ayant appris l’accident qui était arrivé à Cornelius, envoyèrent à C. Duillius, qui commandait l’armée de terre, et l’attendirent. Sur le bruit que la flotte des ennemis n’était pas loin, ils se disposèrent à un combat naval. Mais comme leurs vaisseaux étaient mal construits et d’une extrême pesanteur, quelqu’un suggéra l’idée de se servir de ce qui fut depuis ce temps-là appelé des corbeaux. Voici ce que c’était :

Une pièce de bois ronde, longue de quatre aunes, grosse de trois palmes de diamètre, était plantée sur la proue du navire : au haut de la poutre était une poulie, et autour une échelle clouée à des planches de quatre pieds de largeur sur six aunes de longueur, dont on avait fait un plancher, percé au milieu d’un trou oblong, qui embrassait la poutre à deux aunes de l’échelle. Des deux côtés de l’échelle sur la longueur, on avait attaché un garde-fou qui couvrait jusqu’aux genoux. Il y avait au bout du mât une espèce de pilon de fer pointu, au haut duquel était un anneau, de sorte que toute cette machine paraissait semblable à celles dont on se sert pour faire la farine. Dans cet anneau passait une corde, avec laquelle, par le moyen de la poulie qui était au haut de la poutre, on élevait les corbeaux lorsque les vaisseaux s’approchaient, et on les jetait sur les vaisseaux ennemis, tantôt du côté de la proue, tantôt sur les côtés, selon les différentes rencontres. Quand les corbeaux accrochaient un navire, si les deux étaient joints par leurs côtés, les Romains sautaient dans le vaisseau ennemi d’un bout à l’autre ; s’ils n’étaient joints que par la proue, ils avançaient deux à deux au travers du corbeau. Les premiers se défendaient avec leurs boucliers des coups qu’on leur portait par-devant ; et les suivans, pour parer les coups portés de côté, appuyaient leurs boucliers sur le garde-fou.

Après s’être ainsi préparés, on n’attendait plus que le temps de combattre. Aussitôt que C. Duillius eut appris l’échec que l’armée navale avait reçu, laissant aux tribuns le commandement de l’armée de terre, il alla joindre la flotte, et sur la nouvelle que les ennemis faisaient du dégât sur les terres de Myle, il la fit avancer tout entière de ce côté-là. À l’approche des Romains, les Carthaginois mettent avec joie leurs cent trente vaisseaux à la voile ; insultant presque au peu d’expérience des Romains, ils tournent tous la proue vers eux, sans daigner seulement se mettre en ordre de bataille. Ils allaient comme à un butin qui ne pouvait leur échapper. Leur chef était cet Annibal qui de nuit s’était furtivement sauvé avec ses troupes de la ville d’Agrigente. Il montait une galère à sept rangs de rames qui avait appartenu à Pyrrhus. D’abord, les Carthaginois furent fort surpris de voir au haut des proues de chaque vaisseau un instrument de guerre auquel ils n’étaient pas accoutumés. Ils ne laissèrent cependant pas d’approcher de plus en plus, et leur avant-garde, pleine de mépris pour les ennemis, commença la charge avec beaucoup de vigueur ; mais lorsqu’on fut à l’abordage, que les vaisseaux furent accrochés les uns aux autres par les corbeaux, que les