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POLYBE, LIV. I.

et donne ordre aux autres de le suivre. Les Carthaginois voyant les ennemis, les uns monter sur leurs vaisseaux, les autres en pleine mer, et l’avant-garde fort éloignée de ceux qui la suivaient, se tournent vers eux, les enveloppent, et coulent à fond tous leurs bâtimens, à l’exception de celui du consul, qui courut lui-même grand risque ; mais comme il était mieux fourni de rameurs et plus léger, il se tira heureusement de ce danger. Les autres vaisseaux des Romains arrivent peu de temps après ; ils s’assemblent et se rangent de front ; ils chargent les ennemis, prennent dix vaisseaux, et en coulent huit à fond. Le reste se retira dans les îles de Lipari. Les deux partis se faisant honneur de la victoire, on pensa plus que jamais, de part et d’autre, à se créer des armées navales et à se disputer l’empire de la mer. Pendant toute cette campagne, les troupes de terre ne firent rien que de petites expéditions qui ne valent pas la peine d’être remarquées.

L’été suivant on se met en mer. Les Romains mouillent à Messine avec trois cent trente vaisseaux pontés ; de là, laissant la Sicile à leur droite, et doublant le cap Pachynus, ils cinglent vers Ecnome, parce que l’armée de terre était aux environs. Pour les Carthaginois, ils allèrent prendre terre à Lilybée avec trois cent cinquante vaisseaux pontés. De Lilybée ils allèrent à Héraclée de Minos. Le but des premiers était de passer en Afrique, d’en faire le théâtre de la guerre, et de réduire par là les Carthaginois à défendre, non la Sicile, mais leur propre patrie. Les Carthaginois au contraire, sachant qu’il était aisé d’entrer dans l’Afrique et de la subjuguer, ne craignaient rien tant que cette diversion, et voulaient l’empêcher par une bataille.

Comme ces vues opposées annonçaient un combat prochain, les Romains se tinrent prêts, et à accepter le combat, si on le leur présentait, et à faire irruption dans le pays ennemi, si l’on n’y mettait pas obstacle. Ils choisissent dans leurs troupes de terre ce qu’il y avait de meilleur, et divisent toute leur armée en quatre parties, dont chacune avait deux noms : la première s’appelait la première légion, et la première flotte, et ainsi des autres. Il n’y avait que la quatrième qui n’en eût pas : on l’appelait le corps des triaires, comme on a coutume de les appeler dans les armées de terre. Toute cette armée navale était composée de cent quarante mille hommes, chaque vaisseau portant trois cents rameurs et cent vingt soldats. Les Carthaginois, de leur côté, mirent aussi tous leurs soins à se disposer à un combat naval. Si l’on considère le nombre de vaisseaux qu’ils avaient, il fallait qu’ils fussent plus de cent cinquante mille hommes. Qui peut, je ne dis pas voir, mais entendre seulement parler d’un si grand nombre d’hommes et de vaisseaux, sans être frappé, et de l’importance de l’affaire qui va se décider, et de la puissance de ces deux républiques ?

Les Romains, faisant réflexion qu’ils devaient voguer obliquement, et que la force des ennemis consistait dans la légèreté de leurs vaisseaux, songèrent à prendre un ordre de bataille qui fût sûr, et qu’on eût peine à rompre. Pour cela, les deux vaisseaux à six rangs que montaient les deux consuls, Regulus et Manlius, furent mis de front à côté l’un de l’autre. Ils étaient suivis chacun d’une ligne de vaisseaux. La première flotte formait une ligne, et la seconde l’autre ; les bâtimens de chaque ligne s’écartant, et élargissant l’inter-