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POLYBE, LIV. I.

valle à mesure qu’ils se rangeaient, et tournant la proue en dehors. Les deux premières flottes ainsi rangées en forme de bec ou de coin, on forma de la troisième une troisième ligne qui fermait l’intervalle, et faisait front aux ennemis : en sorte que l’ordre de bataille avait la figure d’un triangle. Cette troisième flotte remorquait les vaisseaux de charge. Enfin ceux de la quatrième flotte, ou les triaires, venaient après, tellement rangés, qu’ils débordaient des deux côtés la ligne qui les précédait : de cette manière, l’ordre de bataille représentait un coin ou un bec, dont le flan était creux et la base solide, mais fort dans son tout, propre à l’action et difficile à rompre.

Pendant ce temps-là, les chefs des Carthaginois exhortèrent leurs soldats, leur faisant entendre en deux mots, qu’en gagnant la bataille ils n’auraient que la Sicile à défendre, mais que s’ils étaient vaincus, c’en était fait de leur propre patrie et de leurs familles ; ensuite fut donné l’ordre de mettre à la voile. Les soldats l’exécutèrent en gens persuadés de ce qu’on venait de leur dire. Leurs chefs, pour se conformer à l’ordonnance de l’armée romaine, partagent leur armée en trois corps, et en font trois simples lignes. Ils étendent l’aile droite en haute mer, comme pour envelopper les ennemis, et tournent les proues vers eux. L’aile gauche, composée d’un quatrième corps de troupes, était rangée en forme de tenaille, tirant vers la terre. Hannon, ce général qui avait eu le dessous au siége d’Agrigente, commandait l’aile droite, et avait avec lui les vaisseaux et les galères les plus propres, par leur légèreté, à envelopper les ennemis. Le chef de l’aile gauche était cet Amilcar, qui avait déjà commandé Tyndaride.

Celui-ci, ayant mis le fort du combat au centre de son armée, se servit d’un stratagème pendant la bataille. Comme les Carthaginois étaient rangés sur une simple ligne, et que les Romains commençaient par l’attaque du centre pour désunir leur armée, le centre des Carthaginois reçoit ordre de faire retraite. Il fuit en effet, et les Romains le poursuivent. La première et la seconde flotte, par cette manœuvre, s’éloignaient de la troisième, qui remorquait les vaisseaux, et de la quatrième, où étaient les triaires destinées à les soutenir. Quand elles furent à une certaine distance, alors du vaisseau d’Amilcar s’élève un signal, et aussitôt toute l’armée des Carthaginois fond en même temps sur les vaisseaux qui poursuivaient. Les Carthaginois l’emportaient sur les Romains par la légèreté de leurs vaisseaux, par l’adresse et la facilité qu’ils avaient, tantôt à approcher, tantôt à reculer ; mais la vigueur des Romains dans la mêlée, leurs corbeaux pour accrocher les vaisseaux ennemis, la présence des généraux qui combattaient à leur tête, et sous les yeux desquels ils brûlaient de se signaler, ne leur inspiraient pas moins de confiance qu’en avaient les Carthaginois. Tel était le choc de ce côté-là.

En même temps Hannon qui, au commencement de la bataille, commandait l’aile droite à quelque distance du reste de l’armée, vient tomber sur les vaisseaux des triaires, et y jette le trouble et la confusion. Les Carthaginois, qui étaient proches de la terre, quittent aussi leur poste, se rangent de front, en opposant leurs proues, et fondent sur les vaisseaux qui remorquaient. Ceux-ci lâchent aussitôt les cordes, et en viennent aux mains : de sorte que toute cette bataille était divisée en trois parties, qui faisaient autant de combats fort éloignés l’un de l’autre. Mais