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POLYBE, LIV. I.

celles de terre, qui étaient dans ces quartiers, et concertent le projet d’attaquer la ville, dans l’espérance qu’après cette conquête, il leur serait aisé de transporter la guerre en Afrique. Les Carthaginois pénétraient toutes ces vues, et faisaient les mêmes réflexions. C’est pourquoi, regardant tout le reste comme rien, ils ne pensèrent qu’à secourir Lilybée, résolus à tout souffrir plutôt que de perdre cette place, unique ressource qu’ils eussent dans la Sicile ; au lieu que toute cette île, à l’exception de Drépane, était en la puissance des Romains. Mais de peur que ce que nous avons à dire ne soit obscur pour ceux qui ne connaissent pas bien le pays, nous profiterons de cette occasion pour en offrir un aperçu suffisant à nos lecteurs.

Toute la Sicile est située par rapport à l’Italie et à ses limites, comme le Péloponnèse par rapport à tout le reste de la Grèce et aux éminences qui la bornent. Ces deux pays sont différens, en ce que celui-là est une île, et celui-ci une presqu’île ; car on peut passer par terre dans le Péloponnèse, et on ne peut entrer en Sicile que par mer. Sa figure est celle d’un triangle : les pointes de chaque angle sont autant de promontoires. Celui qui est au midi, et qui s’avance dans la mer de Sicile, s’appelle Pachynus ; le Pelore est celui qui, situé au septentrion, borne le détroit au couchant, et est éloigné d’Italie d’environ douze stades ; enfin, le troisième se nomme Lilybée. Il regarde l’Afrique ; sa situation est commode pour passer de là à ceux des promontoires de Carthage dont nous avons parlé plus haut. Il en est éloigné de mille stades ou environ, et tourné au couchant d’hiver ; il sépare la mer d’Afrique de celle de Sardaigne.

Sur ce dernier cap est la ville de Lilybée, dont les Romains firent le siége. Elle est bien fermée de murailles, et environnée d’un fossé profond, et de lacs autour de son enceinte, formés par le débordement de la mer, d’où les bâtimens ne sauraient passer dans le port qu’avec beaucoup d’usage et d’expérience. Les Romains ayant établi leurs quartiers devant la ville, de l’un et de l’autre côté, et tiré des lignes d’un camp à l’autre, fortifiées d’un fossé, d’une palissade et d’un terre-plein revêtu d’une maçonnerie, ils commencèrent à pousser leurs travaux vers la tour de l’enceinte la plus proche de la mer qui regardait l’Afrique. On ajouta toujours de nouveaux bâtimens, dont l’un servait de fondement à l’autre, et poussant en même temps ces travaux en avant, on parvint à renverser six tours contiguës à celle qui était près de la mer. Comme ce siége se poussait avec beaucoup de vigueur ; que parmi les tours il y en avait chaque jour quelqu’une qui menaçait ruine, et d’autres qui étaient renversées ; que les ouvrages avançaient toujours en s’élevant contre les murs et même jusque dans la ville, les assiégés étaient dans une épouvante et une consternation extrême, quoique la garnison fût de plus de dix mille soldats étrangers, sans compter les habitans, et que Imilcon, qui commandait, fît tout ce qui était possible pour se bien défendre, et arrêter les progrès des assiégeans. Il relevait les brèches, il faisait des contre-mines ; chaque jour, il se portait de côté et d’autre ; il guettait le moment où il pourrait mettre le feu aux machines, et, pour le pouvoir faire, livrait jour et nuit des combats, plus sanglans quelquefois et plus meurtriers que ne le sont ordinairement les batailles rangées.

Pendant cette généreuse défense, quelques-uns des principaux officiers

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