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POLYBE, LIV. I.

remporté la victoire ? Des combats presque continuels avaient réduit ces deux états à l’extrémité ; de grandes dépenses continuées pendant long-temps avaient épuisé leurs finances ; cependant les Romains tiennent bon contre leur mauvaise fortune. Quoiqu’ils eussent depuis près de cinq ans abandonné la mer, tant à cause des pertes qu’ils y avaient faites, que parce que les troupes de terre leur paraissaient suffisantes, voyant néanmoins que la guerre ne prenait pas le train qu’ils avaient espéré, et qu’Amilcar réduisait à rien tous leurs efforts, ils se flattèrent qu’une troisième flotte serait plus heureuse que les deux premières, et que si, elle était bien conduite, elle terminerait la guerre avec avantage. La chose en effet eut tout le succès qu’ils s’étaient promis. Sans se rebuter d’avoir été deux fois obligés de renoncer aux armées navales, premièrement par la tempête qu’elles avaient essuyée au sortir du port de Palerme, et ensuite par la malheureuse journée de Drépane, ils en remirent une troisième sur pied, qui, fermant aux Carthaginois le côté de la mer par lequel ils recevaient leurs vivres, mit enfin la victoire de leur côté, et finit heureusement la guerre. Or, ce fut moins leur force que leur courage qui leur fit prendre cette résolution ; car ils n’avaient pas dans leur épargne de quoi fournir aux frais d’une si grande entreprise ; mais le zèle du bien public et la générosité des principaux citoyens, suppléèrent à ce défaut. Chaque particulier selon son pouvoir, ou deux ou trois réunis ensemble, se chargèrent de fournir une galère tout équipée, à la seule condition que, si la chose tournait à bien, on leur rendrait ce qu’ils auraient avancé. Par ce moyen on assembla deux cents galères à cinq rangs, que l’on construisit sur le modèle de la rhodienne ; et dès le commencement de l’été, C. Luctatius, ayant été fait consul, prit le commandement de cette flotte. Il aborda en Sicile lorsqu’on l’y attendait le moins, se rendit maître du port de Drépane, et de toutes les baies qui sont aux environs de Lilybée, tous lieux restés sans défense par la retraite des vaisseaux carthaginois, fit ses approches autour de Drépane, et disposa tout pour le siége. Pendant qu’il faisait son possible pour la serrer de près, prévoyant que la flotte ennemie ne tarderait pas à venir et ayant toujours devant les yeux ce que l’on aurait pensé d’abord, que la guerre ne finirait que par un combat naval, sans perdre un moment, chaque jour il dressait son équipage aux exercices qui le rendaient propre à son dessein, et par son assiduité à l’exercer dans le reste des affaires de marine, de simples matelots, il fit en fort peu de temps d’excellens soldats.

Les Carthaginois, fort surpris que les Romains osassent reparaître sur mer, et ne voulant pas que le camp d’Éryce manquât d’aucune des munitions nécessaires, équipèrent sur-le-champ des vaisseaux, et les ayant fournis de grains et d’autres provisions, ils firent partir cette flotte, dont ils donnèrent le commandement à Hannon. Celui-ci cingla d’abord vers l’île d’Hières, dans le dessein d’aborder à Éryce sans être aperçu des ennemis, d’y décharger ces vaisseaux, d’ajouter à son armée navale ce qu’il y avait de meilleurs soldats étrangers et d’aller avec Amilcar présenter la bataille aux ennemis. Cette flotte approchant, Luctatius ayant pensé en lui-même quelles pouvaient être les vues de l’amiral, il choisit dans son armée de terre les troupes les plus braves et les plus aguerries, et fit voile vers Éguse, ville située devant Lilybée. Là, après avoir exhorté son