Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/390

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
382
POLYBE, LIV. I.

monde à bien faire, il avertit les pilotes qu’il y aurait combat le lendemain matin. Au point du jour, voyant que le vent, favorable aux Carthaginois, lui était fort contraire, et que la mer était extrêmement agitée, il hésita d’abord sur le parti qu’il avait à prendre ; mais faisant ensuite réflexion que, s’il donnait le combat pendant ce gros temps, il n’aurait affaire qu’à l’armée navale et à des vaisseaux chargés ; qu’au contraire, s’il attendait le calme et laissait Hannon se joindre avec le camp d’Éryce, il aurait à combattre contre des vaisseaux légers et contre l’élite de l’armée de terre, et, ce qui était alors plus formidable, contre l’intrépidité d’Amilcar : déterminé par toutes ces raisons, il résolut de saisir l’occasion présente. Comme les ennemis approchaient à pleines voiles, il s’embarque à la hâte. L’équipage, plein de force et de vigueur, se joue de la résistance des flots ; l’armée se range sur une ligne, la proue tournée vers l’ennemi. Les Carthaginois, arrêtés au passage, ferlent les voiles, et, s’encourageant les uns les autres, en viennent aux mains. Ce n’était plus de part ni d’autre ces mêmes flottes qui avaient combattu à Drépane, et par conséquent il fallait que le succès du combat fût différent. Les Romains avaient appris l’art de construire les vaisseaux. De l’approvisionnement ils n’avaient laissé dans leurs bâtimens que ce qui était nécessaire au combat ; leur équipage avait été soigneusement exercé ; ils avaient embarqué l’élite des soldats de terre, gens à ne jamais lâcher pied. Du côté des Carthaginois, ce n’était pas la même chose. Leurs vaisseaux pesamment chargés étaient peu propres à combattre, les rameurs nullement exercés et pris comme ils s’étaient présentés ; les soldats nouvellement enrôlés et qui ne savaient encore ce que c’était que les travaux et les périls de la guerre. Ils comptaient si fort que les Romains n’auraient plus jamais la hardiesse de revenir sur mer, qu’ils avaient entièrement négligé leur marine. Aussi eurent-ils le dessous presque de tous côtés dès la première attaque. Cinquante de leurs vaisseaux furent coulés à fond ; soixante-dix furent pris avec leur équipage, et les autres n’eussent pas échappé, si le vent, venant heureusement à changer dans le temps même qu’ils couraient le plus de risque, ne leur eût donné moyen de se sauver dans l’île d’Hières. Le combat fini, Luctatius prit la route de Lilybée, où les vaisseaux qu’il avait gagnés et les prisonniers qu’il avait faits, au nombre de dix mille, ou peu s’en faut, ne lui donnèrent pas peu d’embarras.




CHAPITRE XIV.


Traité de paix entre Rome et Carthage. — Réflexions sur cette guerre. — Sort des deux états après la conclusion de la paix.


À Carthage on fut fort surpris quand la nouvelle y vint que Hannon avait été battu. Si, pour avoir sa revanche, il n’eût fallu que du courage et une forte passion de l’emporter sur les Romains, on était autant que jamais disposé à la guerre. Mais on ne savait comment s’y prendre. Les ennemis étant maîtres de la mer, on ne pouvait envoyer de secours à l’armée de Sicile : dans l’impuissance où l’on se voyait de la secourir, on était forcé de la livrer, pour ainsi dire, et de l’abandonner. Il ne restait plus ni troupes ni chefs pour les conduire. Enfin on envoya promptement Amilcar, et l’on remit tout à sa disposition. Celui-ci se conduisit en sage et prudent capitaine. Tant qu’il vit