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POLYBE, LIV. I.

quelque lueur d’espérance, tout ce que la bravoure et l’intrépidité pouvaient faire entreprendre, il l’entreprit : il tenta, autant que général ait jamais fait, tous les moyens d’avoir raison de ses ennemis. Mais voyant les affaires désespérées, et qu’il n’y avait plus de ressources, il ne pensa plus qu’à sauver ceux qui lui étaient soumis ; prudent et éclairé, il céda aux conjonctures présentes, et dépêcha des ambassadeurs pour traiter d’alliance et de paix ; car un général ne porte à juste titre ce beau nom qu’autant qu’il connaît également et le temps de vaincre et celui de renoncer à la victoire. Luctatius ne se fit pas prier ; il savait trop bien à quelle extrémité il était lui-même réduit, et combien cette guerre était onéreuse au peuple romain. Elle fut donc terminée à ces conditions : que sous le bon plaisir du peuple romain, il y aurait alliance entre lui et les Carthaginois, pourvu que ceux-ci se retirassent de toute la Sicile ; qu’ils n’eussent point de guerre avec Hiéron, qu’ils ne prissent point les armes contre les Syracusains ni contre leurs alliés ; qu’ils rendissent aux Romains, sans rançon, tous les prisonniers qu’ils avaient faits sur eux ; qu’ils payassent aux Romains, pendant vingt ans, deux mille deux cents talens eubéens d’argent. Ce traité ne fut d’abord pas accepté à Rome ; on envoya sur les lieux dix personnes pour examiner les affaires de plus près. Ceux-ci ne changèrent rien à l’ensemble de ce qui avait été fait, mais ils étendirent un peu plus les conditions. Ils abrégèrent le temps de paiement, ajoutèrent mille talens à la somme, et exigèrent de plus que les Carthaginois abandonnassent toutes les îles qui sont entre la Sicile et l’Italie.

Ainsi finit la guerre des Romains contre les Carthaginois au sujet de la Sicile, après avoir duré pendant vingt-quatre ans sans interruption : guerre la plus importante dont nous ayons jamais entendu parler ; guerre dans laquelle, sans parler des autres exploits que nous avons rapportés plus haut, il se livra deux batailles, dans l’une desquelles il y avait plus de cinq cents galères à cinq rangs, et dans l’autre près de sept cents. Les Romains en perdirent sept cents, en comptant celles qui périrent dans les naufrages, et les Carthaginois cinq cents. Après cela, ceux qui admirent les batailles navales et les flottes d’Antigonus, de Ptolomée et de Demetrius, pourront-ils, sans une surprise extrême, réfléchir sur ce que l’histoire nous apprend de cette expédition ? Si l’on compare les quinquerèmes dont on s’y est servi, avec les trirèmes que les Perses ont employées contre les Grecs, et celles que les Athéniens et les Lacédémoniens ont équipées les uns contre les autres, on conviendra qu’il n’y eut jamais sur mer des armées de cette force. Ce qui prouve ce que nous avons avancé d’abord : que quelques Grecs assurent sans raison que les Romains ne doivent leurs succès qu’à la fortune et à un pur hasard.

Après s’être formés aux grandes entreprises par des expéditions de cette importance, ils ne pouvaient rien faire de mieux que de se proposer la conquête de l’univers, et ce projet ne pouvait manquer de leur réussir.

Quelqu’un me demandera peut-être : d’où vient que, maîtres du monde entier, et par conséquent plus puissans qu’ils n’étaient alors, les Romains ne peuvent plus équiper tant de vaisseaux ni mettre en mer de si nombreuses flottes ? Nous éclaircirons cette question lorsque nous en viendrons à l’explication de leur gouvernement : c’est une matière dont on ne doit parler qu’ex-