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POLYBE, LIV. I.

on leur coupe les mains, en commençant par Gescon, cet homme qu’ils mettaient peu de temps auparavant au-dessus de tous les Carthaginois, qu’ils avaient pris pour arbitre de leurs différends ; et après leur avoir coupé les oreilles, rompu et brisé les jambes, on les jeta tout vifs dans une fosse. Cette nouvelle pénétra de douleur les Carthaginois : ils envoyèrent ordre à Amilcar et à Hannon de courir au secours et à la vengeance de ceux qui avaient été si cruellement massacrés. Ils dépêchèrent encore des hérauts d’armes pour demander à ces impies les corps morts. Mais, loin de livrer ces corps, ils menacèrent que les premiers députés ou hérauts d’armes qu’on leur enverrait seraient traités comme l’avait été Gescon. En effet, cette résolution passa ensuite en loi, qui portait que tout Carthaginois que l’on prendrait, perdrait la vie dans les supplices, et que tout allié des Carthaginois leur serait renvoyé les mains coupées. Cette loi fut toujours observée à la rigueur.

Après cela, n’est-il pas vrai de dire que, si le corps humain est sujet à certains maux qui s’irritent quelquefois jusqu’à devenir incurables, l’âme en est encore beaucoup plus susceptible ? Comme dans le corps il se forme des ulcères que les remèdes enveniment et augmentent, et qui, d’un autre côté, abandonnés à eux-mêmes, ne cessent de ronger les parties voisines jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien à dévorer : de même, dans l’âme, il s’élève certaines vapeurs malignes, il s’y glisse certaine corruption, qui porte les hommes à des excès dont on ne voit pas d’exemple parmi les animaux les plus féroces. Leur faites-vous quelque grâce ? les traitez-vous avec douceur ? C’est piége et artifice, c’est ruse pour les tromper. Ils se défient de vous, et vous haïssent d’autant plus que vous faites plus d’efforts pour les gagner. Si l’on se roidit contre eux, et que l’on oppose violence à violence, il n’est point de crimes, point d’attentats, dont ils ne soient capables de se souiller ; ils font gloire de leur audace, et la fureur les transporte jusqu’à leur faire perdre tout sentiment d’humanité. Les mœurs déréglées et la mauvaise éducation ont sans doute grande part à ces horribles désordres, mais bien des choses concourent encore à produire dans l’homme cette disposition. Ce qui semble y contribuer davantage, ce sont les mauvais traitemens et l’avarice des chefs. Nous en avons un triste exemple dans ce qui s’est passé pendant tout le cours de la guerre des étrangers, et dans la conduite des Carthaginois à leur égard.




CHAPITRE XVIII.


Nouvel embarras des Carthaginois. — Siége de Carthage par les étrangers. — Secours que Hiéron fournit à cette ville. — Fidélité des Romains à son égard. — Famine horrible dans le camp des étrangers, qui demandent la paix. — Trompés, ils reprennent les armes, sont défaits et taillés en pièces. — Siége de Tunis, où Annibal est pris et pendu. — Bataille décisive. — La Sardaigne cédée aux Romains.


Amilcar, ne sachant plus comment réprimer l’audace effrénée de ses ennemis, se persuada qu’il n’en viendrait à bout qu’en joignant ensemble les deux armées que les Carthaginois avaient en campagne, et qu’en exterminant entièrement ces rebelles. C’est pourquoi, ayant fait venir Hannon, tous ceux qui s’opposèrent à ses armes furent passés au fil de l’épée, et il fit jeter aux bêtes les prisonniers. Les affaires des Carthaginois commençaient à prendre un meilleur train,