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POLYBE, LIV. II.

fanterie en bataille, et la disposent de manière que, rangée dos à dos, elle faisait front par devant et par derrière ; ordre de bataille qu’ils prirent sur le rapport du prisonnier et sur ce qui se passait actuellement, pour se défendre et contre ceux qu’ils savaient être à leur poursuite, et contre ceux qu’ils auraient en tête.

Émilius avait bien ouï parler du débarquement des légions à Pise, mais il ne s’attendait pas qu’elles seraient si proche ; il n’apprit sûrement le secours qui lui était tenu que par le combat qui se donna sur la hauteur. Il y envoya aussi de la cavalerie, et en même temps il conduisit aux ennemis l’infanterie, rangée à la manière ordinaire.

Dans l’armée des Gaulois, les Gésates, et après eux les Insubriens, faisaient front du côté de la queue, qu’Émilius devait attaquer ; ils avaient à dos les Taurisque et les Boïens, qui faisaient face du côté par où Atilius devait venir. Les chariots bordaient les ailes, et le butin fut mis sur une des montagnes voisines, avec un détachement pour le garder. Cette armée à deux fronts n’était pas seulement terrible a voir, elle était encore très-propre pour l’action. Les Insubriens y paraissaient avec leurs braies, et n’ayant autour d’eux que des saies légères. Les Gésates, aux premiers rangs, soit par vanité, soit par bravoure, avaient même jeté bas tout vêtement, et, entièrement nus, ne gardèrent que leurs armes, de peur que les buissons qui se rencontraient là en certains endroits ne les arrêtassent et ne les empêchassent d’agir. Le premier choc se fit sur la hauteur, et fut vu des trois armées, à cause de la nombreuse cavalerie qui de part et d’autre y combattit. Atilius perdit la vie dans la mêlée, où il se distinguait par son intrépidité et sa valeur, et sa tête fut rapportée au roi des Gaulois. Malgré cela, la cavalerie romaine fit si bien son devoir, qu’elle emporta le poste, et gagna une pleine victoire sur celle des ennemis.

L’infanterie s’avança ensuite l’une contre l’autre. Ce fut un spectacle fort singulier et aussi surprenant pour ceux qui, sur le récit d’un fait, peuvent par imagination se le mettre comme sous les yeux, que pour ceux qui en étaient témoins ; car une bataille entre trois armées à la fois est assurément une action d’une espèce et d’une manœuvre bien particulières. D’ailleurs aujourd’hui, comme alors, il n’est pas aisé de démêler si les Gaulois, attaqués de deux côtés s’étaient formés de la manière la moins avantageuse ou la plus convenable. Il est vrai qu’ils avaient à combattre de deux côtés ; mais ainsi rangés dos à dos, ils se mettaient mutuellement à couvert de tout ce qui pouvait les prendre en queue ; et, ce qui devait le plus contribuer à la victoire, tout moyen de fuir leur était interdit, et, une fois défaits, il n’y avait plus pour eux de salut à espérer ; car tel est l’avantage de l’ordonnance à deux fronts.

Quant aux Romains, voyant les Gaulois serrés entre deux armées et enveloppés de toutes parts, ils ne pouvaient que bien espérer du combat ; mais, d’un autre côté, la disposition de ces troupes et le bruit qui s’y faisait, les jetaient dans l’épouvante. La multitude des cors et des trompettes y était innombrable, et, toute l’armée ajoutant à ces instrumens ses cris de guerre, le vacarme était tel, que les lieux voisins, qui le renvoyaient, semblaient d’eux‑mêmes joindre des cris au bruit que faisaient les trompettes et les soldats. Ils étaient effrayés aussi de l’aspect et des mouvemens des soldats des premiers rangs, qui en effet frappaient autant par la beauté et la vigueur