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POLYBE, LIV. II.

jamais être habitée. Je crois qu’il n’en usa avec tant de rigueur, que parce qu’en ce temps‑là il ne pouvait, ni chez les Mégalopolitains, ni chez les Stymphaliens, trouver personne qui fût d’humeur à épouser ses intérêts au préjudice de la patrie. Il n’y eut que chez les Clitoriens, peuple courageux et passionné pour la liberté, qu’il se rencontra un scélérat, nommé Thearcès, qui se couvrit de cette infamie. Aussi les Clitoriens, soutiennent‑ils, et avec raison, que ce traître n’est pas sorti de chez eux, et que c’était un enfant qui leur était resté des soldats qu’on leur avait envoyés d’Orchomène.

Comme, dans ce qui regarde la guerre de Cléomène, j’ai cru devoir préférer Aratus à tout autre historien, et que quelques‑uns donnent la préférence à Phylarque, qui souvent raconte des choses tout opposées, je ne puis me dispenser de justifier mon choix : il est important que le faux n’ait pas, dans des écrits publics, le même poids et le même degré d’autorité que le vrai. En général, cet historien a écrit beaucoup de choses sans discernement et sur les premiers mémoires qui lui sont tombés entre les mains ; mais, sans entrer ici en discussion, et sans le démentir sur une grande partie de ce qu’il dit, contentons‑nous de considérer ce qu’il rapporte sur le temps dont nous parlons. Cela suffira de reste pour faire connaître quel esprit il a apporté à la composition de son histoire, et combien il était peu propre à ce genre d’ouvrage. Pour montrer quelle a été la cruauté d’Antigonus, des Macédoniens, d’Aratus et des Achéens, il dit que les Mantinéens n’eurent pas été plus tôt subjugués, qu’ils tombèrent dans des maux extrêmes ; que cette ville, la plus ancienne et la plus grande de toute l’Arcadie, fut affligée de si horribles calamités, que tous les Grecs en étaient hors d’eux‑mêmes, et fondaient en larmes. Il n’omet rien pour toucher ses lecteurs de compassion ; il nous parle de femmes qui s’embrassent, de cheveux arrachés, de mamelles découvertes ; il nous représente les pleurs et les sanglots des hommes et des femmes, des enfans, et de leurs vieux parens qui étaient enlevés pêle‑mêle. Or, tout ce qu’il fait là pour mettre les événemens fâcheux comme sous les yeux de ses lecteurs, il le fait dans tout le cours de son histoire. Manière d’écrire basse et efféminée que l’on doit mépriser, pour ne s’attacher qu’à ce qui est propre à l’histoire et en fait toute l’utilité.

Il ne faut pas qu’un historien cherche à toucher ses lecteurs par du merveilleux, ni qu’il imagine les discours qui ont pu se tenir, ni qu’il s’étende sur les suites de certains événemens : il doit laisser cela aux poètes tragiques, et se renfermer dans ce qui s’est dit et fait véritablement, quelque peu important qu’il paraisse. Car la tragédie et l’histoire ont chacune leur but, mais fort différent l’un de l’autre : celle‑là se propose d’exciter l’admiration dans l’esprit des auditeurs, et de toucher agréablement par des discours qui approchent le plus qu’il est possible de la vraisemblance ; mais il faut que celle‑ci, par des discours et des actions vrais, instruise et persuade. Dans la tragédie, comme il n’est question que de divertir les spectateurs, on emploie le faux sans ménagement, pourvu qu’il soit vraisemblable : mais dans l’histoire, où il s’agit d’être utile, il ne faut que du vrai. Outre cela, Phylarque ne nous dit souvent ni la cause des événemens qu’il rapporte, ni la manière dont ils sont arrivés. Sans cela néanmoins on ne peut raisonnablement ni