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POLYBE, LIV. III.

et allant même jusqu’à les mépriser, parce qu’il avait vu la frayeur où les avaient jetés les Gaulois, et qu’il voyait celle où les jetaient actuellement les Carthaginois, espérant d’ailleurs beaucoup des rois de Macédoine, qui dans la guerre de Cléomène s’étaient joints à Antigonus, s’était avisé vers ce temps-là de ravager et de renverser les villes d’Illyrie qui appartenaient aux Romains, de passer avec cinquante frégates au-delà du Lisse, contre la foi des traités, et de porter le ravage dans la plupart des îles Cyclades. Ces désordres attirèrent l’attention des Romains, qui voyaient la maison royale de Macédoine dans un état florissant ; et ils mirent tous leurs soins à pacifier et à s’assurer les provinces situées à l’orient de l’Italie. Ils se persuadaient qu’il serait encore temps de prévenir Annibal, lorsqu’ils auraient fait repentir les Illyriens de leur faute, et châtié l’ingratitude et la témérité de Demetrius. Ils se trompaient : Annibal les prévint, et se rendit maître de Sagonte, ce qui fut cause que la guerre ne se fit pas en Espagne, mais aux portes de Rome et dans toute l’Italie.

Cependant les Romains, suivant leur premier projet, envoyèrent une armée en Illyrie, sous la conduite de L. Émilius, vers le printemps de la première année de la cent quarantième olympiade. Annibal alors sortit de Carthagène, et s’avança vers Sagonte. Cette ville est située à sept stades de la mer, sur le pied des montagnes où se joignent les frontières de Celtibérie, et qui s’étendent jusqu’à la mer : c’est le pays le plus fertile de toute l’Espagne. Annibal vint camper devant cette ville, et en poussa le siége avec vigueur. Il prévoyait que de la prise de cette ville il tirerait pour la suite les plus grands avantages ; que par là il ôterait toute espérance aux Romains de faire la guerre dans l’Espagne ; qu’après avoir jeté l’épouvante dans les esprits, ceux qu’il avait déjà subjugués, seraient plus dociles, et ceux qui ne dépendaient encore de personne, plus circonspects ; que, ne laissant pas d’ennemi derrière lui, sa marche en serait plus sûre et plus tranquille ; qu’il y amasserait de l’argent pour l’exécution de ses desseins ; que le butin que les soldats en rapporteraient les rendrait plus vifs et plus ardens à le suivre ; et qu’enfin, avec les dépouilles qu’il enverrait à Carthage, il se gagnerait la bienveillance de ses concitoyens. Animé par ces puissans motifs, il n’épargnait rien pour venir heureusement à bout du siége de Sagonte. Il donnait lui-même l’exemple aux troupes, et se trouvait à tous les travaux. Tantôt il exhortait les soldats, tantôt il s’exposait aux dangers les plus évidens. Enfin, après huit mois de soins et de peines, il emporta la ville d’assaut, et y fit un butin prodigieux d’argent, de prisonniers et de meubles. Il mit de côté l’argent pour servir à ses desseins ; il distribua aux soldats, chacun selon son mérite, ce qu’il avait fait de prisonniers, et envoya les meubles à Carthage. Le succès répondit à tout ce qu’il avait projeté. Les soldats devinrent plus hardis à s’exposer ; les Carthaginois se rendirent avec plaisir à tout ce qu’il demandait d’eux, et, avec l’argent dont il s’était abondamment fourni, il entreprit beaucoup de choses qui lui réussirent.

Sur la nouvelle que les Romains se disposaient à venir dans l’Illyrie, Demetrius jeta dans Dimale une forte garnison et toutes les munitions nécessaires. Il fit mourir dans les autres villes les gouverneurs qui lui étaient opposés, mit à leur place les personnes sur la fidélité desquelles il pouvait comp-

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