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POLYBE, LIV. III.

guerre que ceux-ci leur avaient faite auparavant, et que nous avons rapportée dans le livre précédent, pour disposer le lecteur à entendre ce que nous avions à dire dans la suite. Il comptait beaucoup sur les Gaulois, et se promettait de leurs secours toutes sortes de succès. Pour cela, il dépêcha avec soin à tous les petits rois des Gaules, tant à ceux qui régnaient en deçà qu’à ceux qui demeuraient dans les Alpes mêmes, jugeant bien qu’il ne pouvait porter la guerre en Italie qu’en surmontant toutes les difficultés qu’il y aurait à passer dans les pays dont nous venons de parler, et qu’en faisant entrer les Gaulois dans son entreprise. Enfin les courriers arrivèrent, et lui apprirent quelles étaient les dispositions et l’attente des Gaulois, la hauteur extraordinaire des Alpes, et les fatigues qu’il devait s’attendre à essuyer dans ce passage, qui n’était cependant pas absolument impossible. Le printemps venu, Annibal fit sortir ses troupes des quartiers d’hiver. Les nouvelles qu’il reçut de Carthage sur ce qui s’y était fait en sa faveur, exaltèrent son courage, et, sûr de la bonne volonté de ses concitoyens, il commença pour lors à exhorter ouvertement les soldats à faire la guerre aux Romains. Il leur représenta de quelle manière les Romains avaient demandé qu’on les leur livrât, lui et tous les officiers de l’armée. Il leur parla avec avantage de la fertilité du pays où ils allaient entrer, de la bonne volonté des Gaulois, et de l’alliance qu’ils devaient faire ensemble. Les troupes lui ayant témoigné qu’elles étaient prêtes à le suivre partout, il loua leur courage, leur annonça le jour du départ, et congédia l’assemblée. Tout cela s’étant fait pendant les quartiers d’hiver, et tout étant réglé pour la sûreté de l’Afrique et de l’Espagne, au jour marqué il se met en marche à la tête de quatre-vingt-deux mille hommes de pied et environ douze mille chevaux. Ayant passé l’Èbre, il soumet à son pouvoir les Ibergètes, les Bargusiens, les Érénésiens, les Andosiens, c’est-à-dire les peuples qui habitent depuis l’Èbre jusqu’aux monts Pyrénées. Après s’être rendu maître en peu de temps de tous ces peuples, avoir pris quelques villes d’assaut, non sans livrer de sanglans combats et perdre beaucoup des siens, il laissa Hannon en deçà de l’Èbre pour y commander, et pour retenir aussi dans le devoir les Bargusiens, dont il se défiait, principalement à cause de l’amitié qu’ils avaient pour les Romains.

Il détacha de son armée dix mille hommes de pied et mille chevaux, qu’il laissa à Hannon, avec les bagages de ceux qui devaient marcher avec lui. Il renvoya un pareil nombre de soldats chacun dans sa patrie, premièrement pour s’y ménager l’amitié des peuples, et en second lieu pour faire espérer aux soldats qu’il gardait et à ceux qui restaient dans l’Espagne, qu’il leur serait aisé d’obtenir leur congé, motif puissant pour les porter à prendre les armes dans la suite, s’il arrivait qu’il eût besoin de leur secours. Son armée se trouvant alors déchargée de ses bagages, et composée de cinquante mille hommes de pied et de neuf mille chevaux, il lui fait prendre sa marche par les monts Pyrénées pour aller passer le Rhône. Cette armée n’était pas à la vérité extrêmement nombreuse, mais c’étaient de bons soldats, des troupes merveilleusement exercées par les guerres continuelles qu’elles avaient faites en Espagne.

Mais, de peur que par l’ignorance des lieux on ait de la peine à suivre le