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POLYBE, LIV. III.

de murailles, et on donna ordre à ceux qui devaient y habiter, de s’y rendre dans l’espace de trente jours. Ces colonies étaient chacune de six mille personnes ; une fut placée en deçà du Pô, et fut appelée Plaisance, et l’autre au-delà du même fleuve, et on lui donna le nom de Crémone.

À peine ces colonies furent-elles établies, que les Gaulois appelés Boïens, qui déjà autrefois avaient cherché à rompre avec les Romains, sans avoir pu rien exécuter faute d’occasion, apprenant que les Carthaginois approchaient, et se promettant beaucoup de leur secours, se détachèrent des Romains, et leur abandonnèrent leurs ôtages qu’ils avaient donnés après la dernière guerre. Ils entraînèrent dans leur révolte les Insubriens, qu’un ancien ressentiment contre les Romains disposait déjà à une sédition, et tous ensemble ravagèrent le pays que les Romains avaient partagé. Les fuyards furent poursuivis jusqu’à Mutine, autre colonie des Romains. Mutine elle-même fut assiégée. Ils y investirent trois Romains distingués qui avaient été envoyés pour faire le partage des terres, savoir : C. Luctatius, personnage consulaire, et deux préteurs. Ceux-ci demandèrent à être écoutés, et les Boïens leur donnèrent audience ; mais, au sortir de la conférence, ils eurent la perfidie de s’en saisir, dans la pensée que, par leur moyen, ils pourraient recouvrer leurs ôtages. Sur cette nouvelle, Lucius Manlius, qui commandait une armée dans le pays, se hâta d’aller au secours. Les Boïens, le sentant proche, dressèrent des embuscades dans une forêt, et dès que les Romains y furent entrés, ils fondirent sur eux de tous les côtés, et tuèrent une grande partie de l’armée romaine. Le reste prit la fuite dès le commencement du combat. On se rallia, à la vérité, quand on eut gagné les hauteurs, mais de telle sorte qu’à peine cela pouvait-il passer pour une honnête retraite. Ces fuyards furent poursuivis par les Boïens, qui les investirent dans un bourg appelé, Tanès. La nouvelle vint à Rome que la quatrième armée était enfermée et assiégée par les Boïens : sur-le-champ on envoya à son secours les troupes qu’on avait levées pour Publius, et on en donna le commandement à un préteur. On ordonna ensuite à Publius de faire pour lui de nouvelles levées chez les alliés. Telle était la situation des affaires dans les Gaules à l’arrivée d’Annibal, comme nous l’avions déjà dit dans nos premiers livres.

Au commencement du printemps, les consuls romains, ayant fait tous les préparatifs nécessaires à l’exécution de leurs desseins, se mirent en mer, Publius avec soixante vaisseaux, pour aller en Espagne, et Tiberius Sempronius, avec cent soixante vaisseaux longs à cinq rangs, pour se rendre en Afrique. Celui-ci s’y prit d’abord avec tant d’impétuosité, fit des préparatifs si formidables à Lilybée, assembla de tous côtés des troupes si nombreuses, qu’on eût dit qu’en débarquant il voulait mettre le siége devant Carthage même. Publius, longeant la côte de Ligurie, arriva le cinquième jour dans le voisinage de Marseille, et, ayant abordé à la première embouchure du Rhône, qu’on appelle l’embouchure de Marseille, il mit ses troupes à terre. Il apprit là qu’Annibal avait passé les Pyrénées ; mais il croyait ce général encore bien éloigné, tant à cause des difficultés que les lieux lui devaient opposer, que du grand nombre des Gaulois au travers desquels il fallait qu’il marchât. Cependant Annibal,