Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/471

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
463
POLYBE, LIV. III.

après avoir obtenu des Gaulois, en partie par argent en partie par force, tout ce qu’il voulait, arriva au Rhône avec son armée, ayant à sa droite la mer de Sardaigne. Sur la nouvelle que les ennemis étaient arrivés, Publius, soit que la célérité de cette marche lui parût incroyable, soit qu’il voulût s’instruire exactement de la vérité de la chose, envoya à la découverte trois cents cavaliers des plus braves, et y joignit, pour les guider et soutenir, les Gaulois qui servaient pour lors à la solde des Marseillais. Pendant ce temps-là, il fit rafraîchir son armée, et délibérait avec les tribuns quels postes on devait occuper, et où il fallait donner bataille aux ennemis.

Annibal étant arrivé sur les bords du Rhône, à peu près à quatre jours de marche de la mer, fit sur-le-champ ses dispositions pour traverser le fleuve dans un endroit où il n’avait qu’un seul courant. Pour cela il commença par se concilier l’amitié de tous ceux qui habitaient sur les bords, et acheta d’eux tous leurs canots et chaloupes, dont ils ont grand nombre, à cause de leur commerce par mer. Il acheta outre cela tout le bois qui était propre à construire encore de pareils bâtimens, et dont il fit en deux jours une quantité extraordinaire de bateaux, chacun s’efforçant de se mettre en état de n’avoir pas besoin de secours étranger pour passer le fleuve. Tout était déjà préparé, lorsqu’un grand nombre de Barbares s’assembla sur l’autre bord pour s’opposer au passage des Carthaginois. Annibal, alors faisant réflexion qu’il n’était pas possible d’agir par force contre une si grande multitude d’ennemis ; que cependant il ne pouvait rester là sans courir risque d’être enveloppé de tous les côtés, détacha à l’entrée de la troisième nuit une partie de son armée sous le commandement de Hannon, fils du roi Bomilcar, et lui donna pour guides quelques gens du pays. Ce détachement remonta le fleuve jusqu’à environ deux cents stades, où il trouva une petite île qui partageait la rivière en deux : on s’y logea ; on y coupa du bois dans une forêt voisine, et, les uns façonnant les pièces nécessaires, les autres les joignant ensemble, en peu de temps ils fabriquèrent autant de radeaux qu’il en fallait pour passer le fleuve, et le passèrent en effet sans que personne s’y opposât. Ils s’emparèrent ensuite d’un poste avantageux, et y restèrent tout ce jour-là pour se délasser et se disposer à exécuter l’ordre qu’Annibal leur avait donné.

Ce général faisait aussi de son côté tout ce qu’il pouvait pour faire passer le reste de l’armée. Mais rien ne l’embarrassait plus que ses éléphans, qui étaient au nombre de trente-sept. Cependant, à la fin de la cinquième nuit, ceux qui avaient traversé les premiers s’étant avancés sur l’autre bord vers les Barbares, alors Annibal, dont les soldats étaient prêts, disposa tout pour le passage. Les soldats pesamment armés devaient monter sur les plus grands bateaux, et l’infanterie légère sur les plus petits. Les plus grands étaient au-dessus et les plus petits au dessous, afin que, ceux-là soutenant la violence du courant, ceux-ci en eussent moins à souffrir. On pensa encore à faire suivre les chevaux à la nage, et pour cela un homme, à l’arrière de chaque bateau, en tenait par la bride trois ou quatre de chaque côté. Par ce moyen, dès le premier passage, on en jeta un assez grand nombre sur l’autre bord. À cet aspect, les Barbares sortent en foule et sans ordre de leurs retranchemens, persuadés qu’il leur serait aisé d’arrêter les Carthaginois au débarquement. Cependant