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POLYBE, LIV. III.

mée dans le camp, et avec un grand corps d’élite il perce les détroits et occupe les postes que les ennemis avaient abandonnés. Au point du jour les Barbares, se voyant dépostés, quittèrent d’abord leur dessein ; mais comme les bêtes de charge et la cavalerie, serrées dans ces détroits, ne suivaient que sur une longue file, ils saisirent cette occasion pour fondre de plusieurs côtés sur cette arrière-garde. Il périt là grand nombre de Carthaginois, beaucoup moins cependant sous les coups des Barbares que par la difficulté des chemins. Ils y perdirent surtout beaucoup de chevaux et des bêtes de charge, qui dans ces défilés et sur ces rochers escarpés se soutenaient à peine et culbutaient au premier choc. Le plus grand désastre vint des chevaux blessés, qui tombaient dans ces sentiers étroits, et qui en roulant poussaient et renversaient les bêtes de charge et tout ce qui marchait derrière.

Annibal, pour remédier à ce désordre, qui, par la perte de ses munitions, allait l’exposer au risque de ne pas trouver de salut, même dans la fuite, courut au secours des siens à la tête de ceux qui pendant la nuit s’étaient rendus maîtres des hauteurs, et, tombant d’en haut sur les ennemis, il en tua un grand nombre ; mais dans le tumulte et la confusion qu’augmentaient encore le choc et les cris des combattans, il perdit aussi beaucoup de monde. Malgré cela, la plus grande partie des Allobroges fut enfin défaite, et le reste réduit à prendre la fuite. Il fit ensuite passer ces défilés, quoiqu’avec beaucoup de peine, à ce qui lui était resté de chevaux et de bêtes de charge ; puis, se faisant suivre de ceux qui lui parurent le moins fatigués du combat, il alla attaquer la ville d’où les ennemis étaient venus fondre sur lui. Elle ne lui coûta pas beaucoup à prendre. Tous les habitans, dans l’espérance du butin qu’ils croyaient faire, l’avaient abandonnée. Il la trouva presque déserte. Cette conquête lui fut d’un grand avantage. Il tira de cette ville quantité de chevaux, de bêtes de charge et de prisonniers, et outre cela du blé et de la viande pour deux ou trois jours, sans compter que par là il se fit craindre de ces montagnards, et leur ôta l’envie d’interrompre une autre fois sa marche.

Il campa dans cet endroit, et s’y reposa un jour entier. Le lendemain on continua de marcher. Pendant quelques jours la marche fut assez tranquille. Au quatrième voici un nouveau péril qui se présente ! Les peuples qui habitaient sur cette route, inventent une ruse pour le surprendre. Ils viennent au devant de lui, portant à la main des rameaux d’olivier et des couronnes sur la tête. C’est le signal de paix et d’amitié chez ces Barbares, comme le caducée chez les Grecs. Cela parut suspect à Annibal ; il s’informa exactement quel était leur dessein, quel motif les amenait. Ils répondirent : Qu’ayant su qu’il avait pris une ville sur leurs voisins, et qu’il avait terrassé tous ceux qui avaient osé lui tenir tête, ils venaient le prier de ne leur faire point de mal, et lui promettre de ne pas chercher à lui nuire, et, s’il doutait de leur bonne foi, qu’ils étaient prêts à donner des ôtages.

Annibal hésita long-temps sur le parti qu’il devait prendre : d’un côté, en acceptant les offres de ces peuples, il y avait lieu d’espérer que cette condescendance les rendrait plus réservés et plus traitables ; de l’autre, en les rejetant, il était immanquable qu’il s’attirerait ces Barbares sur les bras. D’après ces deux raisons, il fit du moins semblant de consentir à les mettre au