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pour chaque occasion. Le général exerçait son armée, selon l’usage reçu, en y ajoutant ce qu’il croyait propre à la circonstance, et tirait ensuite de son propre fonds les ressources que lui dictaient l’expérience ou le génie.

C’est ainsi que les Romains se conduisirent jusqu’à la seconde guerre punique. Vaincus souvent dans le cours de cette guerre par le grand Annibal, ils durent rechercher davantage les principes d’une science aussi importante, et c’est alors qu’ils sentirent mieux que jamais combien l’adresse l’emporte sur la force. Depuis cette époque on remarque plus de finesse dans leurs grandes manœuvres, plus d’habileté dans la conduite de la guerre.

Rome, alarmée d’abord de ses défaites, se trouvait enfin rassurée par Fabius qui avait su arrêter les progrès d’Annibal sans combattre. À ce chef d’œuvre de défensive, Scipion joignit un modèle d’offensive non moins admirable. Nommé à l’âge de vingt-six ans pour remplacer son père et son oncle tués en Espagne, il recueillit les restes dispersés de leurs troupes, ranima la confiance du soldat, évita les fautes qui avaient occasionné les revers, et par une marche aussi hardie que savante, surprit Carthage-la-neuve, dépôt principal des ressources de l’ennemi. Bientôt après, combattant à Ilinga contre Asdrubal, il y déploya tout ce que l’art de la tactique pouvait avoir de plus raffiné, et remporta une victoire complète. Celle de Zama, qui finit cette guerre par l’humiliation de Carthage, fut de même le fruit de son profond savoir.

Il est certain que la manœuvre brillante de l’armée romaine à Ilinga, où elle attaqua en double oblique (par les deux ailes en refusant le centre), était un des ordres de batailles désignés par Grecs, et que Scipion ne pouvait l’avoir étudié que dans leurs ouvrages. Il s’en servit en l’appliquant avec beaucoup d’art à l’ordonnance de ses troupes : mais tous ceux qui se livrèrent à l’étude de la guerre et qui voulurent traiter ces matières dans des livres, n’y mirent pas le même discernement. Ils copièrent souvent les auteurs grecs, sans s’occuper de l’application, ne distinguant pas ce qui n’était propre qu’à la phalange, ou ce qui pouvait convenir à l’ordonnance légionnaire. Tels furent sans doute quelques-uns des écrivains dans lesquels puisa Végèce.

Les ordres de bataille que nous venons d’indiquer en traitant des marches, appartiennent tous à l’ordre direct, lorsque les deux armées se choquaient rangées sur un front parallèle et sur plusieurs lignes, fronte longâ quadrato exercitu. C’est ce que Végèce appelle la première disposition.

« Les habiles militaires ne trouvent cependant pas cet ordre le meilleur, ajoute cet écrivain, parce que l’armée, occupant dans sa longueur un terrain fort étendu, et par conséquent sujet à des inégalités, court risque d’y être aisément enfoncée. D’ailleurs, si l’ennemi vous est assez supérieur en nombre pour vous déborder à l’une de vos ailes, il la prendra en flanc et l’enveloppera, si vous n’avez l’attention d’y porter promptement quelques troupes de la réserve qui soutiennent le premier choc. »

Le conseil que donne ensuite Végèce de n’employer cet ordre qu’à la tête d’une armée plus brave et plus nombreuse que celle de l’ennemi, afin de le prendre par les deux flancs et de front en même temps, paraît être un conseil à peu près inutile. On a dit, avec raison, que pour une armée décidément supérieure en nombre et en bravoure, tous les ordres sont bons, et l’on ne voit pas trop quelles leçons on peut